Borgia
dont j’espérais emporter le secret dans ma tombe… Je fis enlever mon enfant !… Mon intention était de la faire conduire ici… puis, de la faire escorter jusqu’à Florence, et enfin, de vous faire aviser, Raphaël, par mon maître de police, comme si je n’eusse été pour rien dans tout cela… Et vous devez vous souvenir, lorsque vous vîntes me voir, que le marquis de Rocasanta vous promit de retrouver votre jeune femme ?…
– C’est vrai, Saint-Père !…
– C’est qu’il était au courant de tout ! À un maître de police, on peut confier de pareils secrets… Donc, Rocasanta qui avait combiné l’enlèvement, Rocasanta qui avait fait conduire mon enfant ici, sous la surveillance d’une pieuse et digne femme, Rocasanta devait vous aviser aussitôt que la pauvre petite serait en sûreté à Florence… Ici, Raphaël, j’ai besoin de tout mon courage pour continuer…
– Oh ! Vous me faites frémir… J’ai peur, Saint-Père…
– Je me hâtai de prendre le chemin de Tivoli, continua le pape en soupirant. J’y arrivai… et je m’efforçai de rassurer ma fille, sans rien oser lui dire de la vérité… Chose affreuse !… Je la voyais pâlir et dépérir d’heure en heure… Que s’était-il passé ? Un épouvantable malheur, mon enfant !… Ou plutôt, un crime abominable !
Raphaël devint blanc comme un mort. Il se renversa en arrière, évanoui. Machiavel le prit dans ses bras, tandis que Ragastens essayait de le ranimer en mouillant ses tempes d’eau fraîche.
– Morbleu, monsieur ! fit-il, vous torturez cet enfant ! Allez-vous le tuer ?…
Le pape, les yeux au ciel, semblait un martyr décidé à boire jusqu’au bout le calice d’amertume.
– Je ne dirai plus rien, si cela est nécessaire, murmura-t-il avec accablement.
Raphaël revint à lui. Et ses sanglots, pendant quelques minutes, retentirent atrocement dans le silence.
– Oh ! râlait l’infortuné jeune homme, je veux tout savoir… je veux tout savoir !… La vérité, par pitié !
– La vérité… atroce, terrible ! Quelques heures avant ton mariage, on a fait boire du poison à ma fille !…
– Ce n’est pas possible !…
– Une femme… payée par le comte Alma !… C’est Rosita qui a tout dit aux médecins !… Elle s’est tout rappelé mais il était trop tard !… Ah ! malheureux père ! Je suis maudit, puisque le ciel a permis cette chose épouvantable !… Tous les remèdes furent inutiles !… Oh ! ma fille ! ma fille !…
Et le pape s’abattit sur le lit, sa tête cachée dans ses mains, sanglotant, comme si la douleur contenue jusque-là eût été trop forte.
Raphaël ne pleurait plus, maintenant… Ses yeux hagards allaient du pape à Machiavel, sans qu’il pût les fixer.
Tout à coup, il se leva et, d’une voix d’insensé :
– Je veux la voir ! dit-il.
Borgia redressa la tête. Il se leva et prit Sanzio par la main :
– Viens, mon enfant… nous la pleurerons ensemble… Venez aussi, messieurs…
Et, entraînant Raphaël, il se dirigea vers la porte :
– Un instant ! fit froidement Ragastens.
– Que voulez-vous, monsieur ?… Voulez-vous donc empêcher cet enfant de voir une dernière fois l’ange qu’il aimait… avant qu’elle remonte au ciel ?…
– Je veux, dit Ragastens, je veux tout simplement ne pas retourner dans les cachots de Saint-Ange ! Et j’ai la prétention d’empêcher cet enfant, comme vous dites, d’y aller aussi.
– Je suis de votre avis, ajouta Machiavel.
– Messieurs… vos soupçons… après ces pénibles aveux…
– Pas soupçons, monsieur : précautions, voilà tout !
– Mes amis ! murmura Sanzio… C’est le père de Rosita !… Grâce pour lui !… pour moi !
Ragastens tordit nerveusement sa moustache. Il fit signe à Machiavel qui répondit par approbation tacite.
– Raphaël, dit alors Ragastens, nous comprenons et respectons votre douleur immense, nous la partageons… Nous tenons pour véridique tout ce que Sa Sainteté vient de dire… Mais nous croyons aussi que le Souverain Pontife ne dédaigne pas la vengeance. Nous avons offensé gravement le Saint-Père et dans cinq minutes, nous serons tous les trois dans un cul de basse-fosse… Donc, je prends mes précautions… Allons, Machiavel !…
Machiavel saisit le bras de Sanzio :
– Oh ! laisse-moi ! Va, si tu veux ! balbutia le peintre.
– Raphaël ! Tu veux donc nous faire
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