Borgia
défendre… Avant d’être pris nous en précipiterons bien une bonne douzaine au fond de ce gouffre… Raphaël !…
Il posa sa main sur l’épaule de Sanzio qui tressaillit comme un homme qu’on réveille en sursaut.
– Raphaël ! a murmuré l’ombre mystérieuse.
Elle fit un bond, saisit le jeune peintre par le bras, le regarda ardemment… Et elle eut un cri de joie.
– C’est toi !… C’est toi, mon Raphaël ?…
– La Maga ! fit Raphaël sans étonnement, comme si, après la suprême débâcle de son amour, plus rien ne pût le surprendre au monde.
– Sus ! hurlèrent à cet instant des voix dans la nuit. Prenons-les vivants !… Sus à la sorcière et aux démons !…
– Oh !… Et n’avoir même pas d’armes !…
– Venez ! s’écria alors la Maga, ne comprenant qu’une chose : Raphaël était poursuivi et il fallait le sauver…
Elle entraîna Sanzio vers le fond de la caverne. Là, elle écarta vivement un tas de branchages. Un trou circulaire apparut, béant et noir.
– Vite !… Descendez !… dit la Maga à Machiavel et à Ragastens, sans s’inquiéter de savoir qui étaient ces deux étrangers…
Le rocher qui cachait ce trou avait été arraché de son alvéole et demeurait penché au-dessus de l’ouverture, maintenu debout par deux bâtons courts et noueux. Cela formait une trappe grossièrement agencée.
– Sauvés ! s’écria Ragastens qui, d’un coup d’œil, comprit le mécanisme rudimentaire de la trappe.
Déjà Machiavel avait disparu dans l’ouverture, entraînant Sanzio, que suivit la Maga. Ragastens, à son tour, s’enfonça dans le trou par une pente très raide.
– Les bâtons ! fit la Maga.
– Je sais !… J’ai vu, et compris…
D’un coup sec, il tira à lui les bâtons ; le rocher retomba lourdement et s’emboîta dans son alvéole.
– Sus ! sus !… Arrêtez !… Rendez-vous !…
Ces clameurs retentirent soudain dans la caverne, envahie par une troupe nombreuse… Ragastens attendit quelques instants… Il entendit des cris de désappointement et de fureur… Alors, il descendit avec précaution.
L’étroit boyau qu’il suivait s’enfonçait sous la montagne, par des degrés naturels creusés dans le roc. Devant lui, à quelques pas, Ragastens vit soudain une lumière : c’était une torche que la Maga venait d’allumer. À la faveur de cette lueur, ils descendirent plus vite.
La Maga marchait en avant, sa torche levée au-dessus de sa tête, semblable à quelque fantastique génie des mondes sous-terrestres. La descente s’arrêta enfin : le boyau se faisait galerie, large couloir horizontal dans lequel la Maga s’engagea sans hésiter.
Ragastens, à ce moment, entendit au-dessus de sa tête un sourd grondement : ils étaient au-dessous du cours de l’Anio… Au bout d’une centaine de pas, la galerie se mit à monter en pente douce et aboutit enfin à une vaste grotte sans issue visible. La Maga s’arrêta.
– Nous sommes de l’autre côté du gouffre, dit-elle. Par cette fente que des buissons cachent du dehors, un homme peut passer… Vous pouvez fuir par là… Vous n’aurez ensuite qu’à descendre le cours de l’Anio…
– C’est bien, dit Machiavel. Mais vous ?…
– Moi, je reste… ne m’interrogez pas… il suffit que je vous aie sauvés…
– Viens, Raphaël ! reprit alors Machiavel.
– Raphaël reste, fit vivement la vieille.
– Alors, nous restons !
La Maga saisit la main de Sanzio. Lorsque la Maga lui saisit la main, il parut secouer sa torpeur.
– Raphaël, demanda la vieille, qui sont ces deux hommes ?…
– Des amis… tout ce qui me reste au monde…
La Maga frissonna. Elle remarqua alors le profond abattement de Raphaël.
– Tout ce que j’ai de cher au monde, continua le jeune homme, tandis que sa douleur semblait devenir plus violente à mesure qu’il se réveillait de son apathie morbide. Tout !… Et toi, ma bonne Rosa !… Toi… qu’elle appelait sa mère !…
– Pour Dieu ! cria celle-ci. Dis-moi ce qui te fait souffrir, mon Raphaël, mon enfant !… Dis-le à ta bonne vieille Rosa…
– Oh ! si vous saviez… Elle est morte ! Morte !…
– Morte ? s’exclama Rosa en bondissant. Qui ? Mais qui donc ? Est-ce de Rosita que tu veux parler ?…
Sanzio fit oui de la tête, sans force pour proférer une parole. La Maga jeta un cri :
– Fatalité !… Il a fallu que Raphaël fût là et souffrît
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