Borgia
tuer ?…
Sanzio jeta des yeux hagards sur Ragastens et sur Machiavel. La douleur l’avait rendu faible comme un enfant, irrésolu, avec une seule pensée fixe : revoir Rosita.
Les derniers mots de Machiavel le firent violemment tressaillir : il lâcha la main du vieux Borgia. Machiavel profita de ce moment d’irrésolution morbide. Il entrouvrit la porte et se glissa au dehors, entraînant rapidement son ami qui se laissait conduire sans opposer de résistance. Ragastens se tourna alors vers le pape :
– Monsieur, dit-il, laissez-vous faire…
– Monsieur, fit Borgia, quand vous serez hors d’ici, fuyez ! Ne tombez jamais en mon pouvoir ! Ou, par le ciel, vous êtes mort !
– Ah ! ah ! Je vous aime mieux ainsi ! Morbleu ! Vous aviez fini par m’émouvoir, savez-vous !…
En même temps, Ragastens renouait sa corde autour des bras du pape.
– Adieu, monsieur ! Je vais profiter de votre conseil. Je ne vous bâillonne pas : vous voyez que je suis généreux et que je joue bon jeu… Criez ! criez !… On ne saurait tarder à vous entendre…
Sur ce, Ragastens salua gravement et bondit dans le jardin. Il ne fut pas plutôt dehors qu’il entendit les cris de Borgia appelant au secours.
– Dix minutes avant qu’on l’entende, murmura-t-il tout en courant ; cinq minutes pour le trouver, autant pour seller les chevaux… Nous serons loin !…
À ce moment, il rejoignit Machiavel et Sanzio :
– Vite ! Courons à Spadacape et fuyons ! Dans un quart d’heure, nous aurons à nos trousses tout ce qu’il y a de cavaliers autour du pape… Heureusement, la nuit est profonde… Fuyons !
– Fuyez ! dit Raphaël avec un calme farouche.
Ragastens leva les bras au ciel et les laissa retomber.
– Allons, bon ! fit-il.
Machiavel le regarda d’un air qui voulait dire :
– Que voulez-vous ! Rien à faire…
– Fuyez ! reprit Raphaël. Le danger n’est que pour vous. Je vous jure, mes amis, que le pape ne me fera aucun mal… Fuyez… mais fuyez donc, voyons… Vous ne voulez pas me rendre fou de douleur, dites ? Qu’est-ce que cela vous fait que je la voie une dernière fois ? Et puis, moi, si on me tue, tant mieux ! Comment voulez-vous que je vive, maintenant ?…
– Au fait, dit Ragastens, mourir ici ou ailleurs !…
Et il s’assit sur une pierre…
– Fuyez ! reprit Raphaël en se tordant les mains…
– Écoute ! fit tout à coup Machiavel, viens avec nous !… Tu iras, demain, au point du jour, à la villa…
Raphaël secoua la tête comme un enfant qui se défie.
– Je te jure que nous ne nous écarterons pas… Viens seulement… c’est à cinquante pas d’ici… Je connais un endroit où nous serons cachés pour la nuit… Demain matin, tu feras ce que tu voudras !…
– Tu me le jures ?…
– Je le jure !
Tous trois se mirent rapidement en chemin.
– Il était temps ! fit Ragastens en montrant la villa où on voyait courir des lumières…
Ils continuèrent à avancer, Machiavel indiquant le chemin.
– C’est ici ! dit tout à coup celui-ci. L’endroit est bon…
Ils se trouvaient dans la caverne de la Maga. Machiavel connaissait cette grotte. Il l’avait visitée en curieux et savait les bruits qui couraient à son sujet.
– Je ne crois pas qu’on pense à venir nous y trouver, si on nous poursuit. Cet antre est protégé par un dragon devant qui s’arrêteront, au moins la nuit, les plus intrépides…
– Et comment s’appelle ce dragon ? demanda Ragastens.
– La superstition !… Dans tout le pays, on croit que le diable entre et sort par cette excavation naturelle.
À ce moment des bruits confus se firent entendre au loin… Ragastens sortit précipitamment, escalada un rocher, examina un instant la campagne, puis rentra en disant :
– Mon cher, votre dragon ne vaut rien : on vient directement ici et, à en juger par le nombre de torches, nous allons être assiégés par toute une petite armée…
Ragastens finissait à peine de parler qu’une sorte d’ombre se dressa silencieusement au fond de la caverne. Cette ombre s’avança vers les trois hommes. Machiavel et Ragastens la voyaient venir à eux avec stupeur. Au dehors, les rumeurs se rapprochaient de plus en plus.
– Il faut fuir ! s’écria Machiavel sans plus se soucier de l’être inconnu qui venait d’apparaître.
– Fuir !… C’est bientôt dit… Mais par où ? Nous sommes cernés… Songeons à nous
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