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Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Cadix, Ou La Diagonale Du Fou

Titel: Cadix, Ou La Diagonale Du Fou Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arturo Pérez-Reverte
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changer de
bord, passera entre les basses avant de lofer pour entrer à l’intérieur de la
baie puis du port, sous la protection des batteries et des navires espagnols et
anglais mouillés dont on pourra bientôt apercevoir au loin les mâts.
    Les alliés anglais. Même si l’Espagne en est à sa quatrième
année de guerre contre Napoléon, l’emploi du mot alliés pour désigner
les Anglais fait faire la grimace au capitaine de la Risueña. Il les
respecte sur la mer, mais il les déteste comme nation. S’il avait été lui-même
anglais, il ne trouverait rien à redire : il serait aussi voleur et
arrogant que ses compatriotes et ça ne l’empêcherait pas de dormir. Mais le
hasard qui décide de ce genre de choses l’a fait naître espagnol, dans le port
militaire de La Havane : un père galicien et maître d’équipage dans la Marine
royale, une mère créole, la mer devant les yeux et sous les pieds depuis tout
petit. Embarqué à onze ans, il a passé la plus grande partie de ses trente-deux
années de bourlingue – mousse, novice sur un baleinier, gabier, second, un
brevet de capitaine acquis à force de travail et de sacrifices – à se
méfier des pirateries et des ruses, toujours infâmes, du pavillon britannique.
Il n’a jamais sillonné de mer où celui-ci ne constituait pas une menace
permanente. Et les Anglais, il croit bien les connaître : il les juge
cupides, imbus de leur personne, toujours prêts à invoquer la première excuse
venue pour violer cyniquement n’importe quel engagement ou parole donnée. Il en
a fait personnellement l’expérience. Que les aléas de la guerre et de la
politique aient transformé pour l’heure l’Angleterre en alliée de l’Espagne qui
résiste à Napoléon n’y change rien. Pour lui, en paix ou à coups de canon, les
Anglais ont toujours été les ennemis. D’une certaine manière, ils le sont
encore. Deux fois, il a été leur prisonnier : l’une sur un ponton de
Portsmouth et l’autre à Gibraltar. Et il n’oublie pas.
    — Le corsaire est en train d’abattre, commandant.
    — J’ai vu.
    Chez le second, l’appréhension l’emporte sur la rancœur. Le
ton a presque été conciliateur. Du coin de l’œil, Pepe Lobo le voit regarder
avec inquiétude la flamme qui indique la direction du vent, puis le fixer. Dans
l’attente.
    — Je pense que nous devrions…, commence-t-il.
    — La ferme !
    Le capitaine observe les voiles, puis se tourne vers les
timoniers.
    — Lofez deux quarts de plus… C’est bien. Tenez bon ce
cap…
    Puis, s’adressant au second :
    — Lieutenant ! Vous êtes aveugle ou sourd ?…
Faites-moi border cette écoute.
    En fait, sa mauvaise humeur n’a rien à voir avec les
Anglais. Ni même avec cette felouque, qui, dans un ultime effort de se
rapprocher de la polacre, a légèrement changé de cap en abattant et tente
encore de leur donner la chasse un peu plus au sud-est, gardant confiance dans
un coup de canon bien ajusté, un changement de vent ou une mauvaise manœuvre qui
casserait quelque chose dans la mâture de la Risueña. Ce n’est pas cela
qui préoccupe Pepe Lobo. Il est tellement sûr de semer le corsaire qu’il n’a
même pas donné l’ordre de préparer les deux pièces du bord : des petits
canons qui, d’ailleurs, ne serviraient à rien devant un ennemi dont un seul tir
de caronade balaierait le pont. La peur d’un combat peut troubler un équipage
qui n’est déjà pas brillant : à part une demi-douzaine de marins
expérimentés, les autres sont de la vermine portuaire enrôlée pour un peu plus
que la nourriture. Ce ne serait pas la première fois que Lobo verrait les
hommes se cacher sous le pont en plein branle-bas. Cela lui a déjà coûté un
bateau et la ruine économique en 1797, en sus du ponton de Portsmouth. Aussi
tout ira-t-il pour le mieux aujourd’hui si personne n’a de doutes et si chacun
fait son travail. En ce qui concerne les hommes qui sont sous son commandement,
il n’a qu’un souhait, mouiller le plus vite possible à Cadix et les perdre de
vue.
    Non, sa préoccupation n’est pas là. Le capitaine de la Risueña sait qu’il fait son dernier voyage à son bord. Quand il a pris la mer il y a
dix-neuf jours, ses relations avec le propriétaire, un armateur de la rue du
Consulat nommé Ignacio Ussel, étaient déjà mauvaises ; et elles ne pourront
qu’empirer dès que celui-ci ou le client pour qui il affrète le bateau
découvriront le manifeste de

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