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Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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solennelle et très à gauche.
    Alain Savary a ouvert le débat d’orientation, vendredi en fin d’après-midi. Il ne m’a alors pas paru particulièrement inquiet, fort de la très grande majorité de représentants socialistes dans la salle. Pourtant, il a été battu samedi matin sur le mode de désignation des membres du comité directeur. En résumé, il y avait trois positions différentes : celle de Pierre Joxe, qui a présenté le rapport de la commission des structures et se prononçait pour le statu quo, c’est-à-dire pour un système d’élection de type majoritaire ; celle de Savary et de Guy Mollet, pour une part de proportionnelle « aménagée » si aucune motion n’obtenait la majorité ; et celle du Ceres 22 , pour la proportionnelle avec barre à 5 %. Contrairement à toute attente, c’est le Ceres qui l’a emporté. Ç’a été la première défaite d’Alain Savary.
    Je ne m’attendais pas à ce qu’elle soit consommée, dimanche, après le discours de Mitterrand. Il faut dire que ce discours, que je n’ai pas entendu – que je me suis contentée de lire le lundi matin – a été habile : dimanche soir, il a gagné en rassemblant derrière lui courants et tendances différents. Quand a-t-il préparé son offensive ? Avec qui ? Je savais, parce qu’il me l’avait dit, qu’il s’était rapproché de Pierre Mauroy, lequel souffrait beaucoup de la façon qu’avait Guy Mollet de le marginaliser lentement. Je savais que Defferre, tout compte fait, avait fini par préférer Mitterrand à Guy Mollet. Mais je ne savais pas que Jean-Pierre Chevènement – que pourtant j’ai connu à Sciences-po, c’est-à-dire bien avant tous les autres – se joindrait à eux pour assurer la victoire de Mitterrand.
    « Je suis pour que ce parti prenne le pouvoir... » C’est ainsi que Mitterrand commence, retrouvant là les accents du candidat unique de la gauche en 1965. Prendre le pouvoir, c’est la première fois sans doute, depuis l’arrivée de De Gaulle au pouvoir en 1958, que les militants réunis ici y pensent, ou plus exactement que quelqu’un leur y fait penser.
    « Reconquérir le terrain perdu sur les communistes » : phrase nouvelle aussi pour les oreilles des anciens de la SFIO, qui se sont peu à peu résignés à vivre aux côtés d’un Parti communiste fort, dominateur.
    « Reconquérir les gauchistes », « répondre à certaines interrogations qui étaient dans le cri des révoltés de Mai », « reconquérir leslibéraux » : toute son ambition pour la gauche est dans cette volonté de conquête ou de reconquête. Je suis sûre que, dans le cœur, dans l’esprit des délégués présents à Épinay, Mitterrand est le seul – ou du moins le premier – à pouvoir convaincre ceux auxquels il s’adresse de la nécessité de prendre le pouvoir. Pas seulement de déposer des motions, de discuter de stratégie, de structures, d’idées, de la vie du parti. C’est rompre qu’il faut : « Celui qui n’accepte pas la rupture, celui qui ne consent pas à la rupture avec l’ordre établi, politique, cela va de soi, avec la société capitaliste, celui-là, je le dis, il ne peut pas être adhérent du Parti socialiste. »
    Mais il ne s’en fait pas moins modeste à l’égard des militants qui l’écoutent et dont il sait très bien qu’ils doutent de son engagement militant : entre les lignes, entre les mots, il parle de son cheminement vers cette gauche (depuis la IV e  République), cheminement qui laisse encore incrédules certains, ici, à Épinay, et ce malgré son combat de 1965. Il essaie de ne donner de leçon à personne, d’être respectueux des pompes et des ors de ce parti dont il veut devenir le premier secrétaire, tandis que les dirigeants installés, Alain Savary, Guy Mollet, pour ne citer qu’eux, sont prêts à vendre très cher leur peau.
    Du grand art !
    Pour la petite histoire, notons que le congrès s’est achevé très tard : 8 heures du soir, le dimanche, alors que la menace d’une grève de la SNCF inquiétait fort une bonne partie des congressistes, craignant de ne pas pouvoir rentrer chez eux.

    16 juin
    Je reviens sur ce congrès alors que le corps médical m’interdit de bouger. Du moins puis-je écrire.
    Le débat s’est orienté en réalité sur l’alliance avec les communistes. Mitterrand s’est prononcé pour un accord avec le PC dans la perspective de l’élaboration d’un accord de gouvernement.

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