Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977

que celui du général de Gaulle. »
    Nous en restons sans voix.

    5 avril
    Le décret est paru aujourd’hui. Voici donc l’annonce officielle d’un nouveau référendum sur l’entrée de la Grande-Bretagne dans l’Europe, voulu par Georges Pompidou cette fois, pour le 23 avril prochain. Je repense à l’accord conclu par Pompidou, juste avant son élection en 1969, avec Jacques Duhamel, dont un des points précisément portait sur l’élargissement de l’Europe à la Grande-Bretagne. Promesse tenue, donc, encore que ce que m’a dit Chirac hier montre qu’il s’agit désormais d’une vraie conviction chez Pompidou qui, pourtant, en politique internationale, veut s’inscrire dans la continuité du général de Gaulle.
    Est-il convaincu ou est-ce le désir de souder sa majorité ? Il me semble que, sans répondre à cette question, on peut être sûr que Pompidou veut montrer qu’il est « à la hauteur », qu’il a, comme son prédécesseur, une dimension internationale.

    10 avril
    Rencontré Jean-Marie Poirier 3 , qui prépare son élection dans le Val-de-Marne et me parle de la situation dans la région parisienne. Georges Pompidou, paraît-il, n’a pas desserré les dents pendant sa dernière tournée dans les environs de Paris. Tous les problèmes s’y posent : les obstacles rencontrés par la politique des transports, le travail des immigrés, les difficultés de l’implantation de l’Unir 4 face aux communistes. Cela constitue une mine pour les poujadismes de toutes sortes. Les gauchistes infiltrent les immigrés, les communistes se glissent parmi les associations de défense de la nature. L’aéroportd’Orly fait du bruit la nuit, et les commerçants, comme partout ailleurs, ne sont pas contents.

    L’évolution de l’habitat ne lui est pas non plus favorable. Les logements sont meilleur marché à la périphérie, et les HLM se retrouvent donc dans sa circonscription. À Sussy-en-Brie, il y avait 2 000 communistes en 1967 ; aux municipales de 1971, la commune comptait 1 500 logements sociaux en plus ; cela a donné 1 500 électeurs communistes...

    10 avril. Déjeuner avec Robert Galley 5
    Il raconte avec fougue l’épopée du téléphone, c’est-à-dire la construction du relais de la tour Montparnasse. D’autant plus importante pour lui que sa mère était postière : « Je la revois à la fenêtre du bureau de poste où elle regardait passer tout le monde », nous dit-il.
    Cette histoire de la tour Montparnasse 6 le passionne. Il a pensé (ou son cabinet y a pensé pour lui) que la hauteur de la tour devrait permettre d’établir des relais de retransmission des faisceaux hertziens. Il a donc demandé aux promoteurs de lui réserver le plus haut niveau. Accord de principe.
    Quelques semaines plus tard, les promoteurs reviennent sur leur engagement : c’est Pennaroya qui occupera le dernier étage. Qu’à cela ne tienne, leur dit Galley, construisez un autre étage au-dessus ! Nouvel accord des promoteurs. Mais refus, cette fois, des Affaires culturelles et de l’Équipement : la tour serait trop haute, elle déparerait le paysage. Albin Chalandon, ministre de l’Équipement, lui révèle en outre qu’il vient d’interdire de construire des hôtels de plus de douze étages. Demander l’élévation de la tour Montparnasse serait, dans ce cas, incohérent.
    Excédé, Galley réunit les promoteurs et leur tient ce langage : « Nous nous orientons vers une situation où vous n’aurez pas de téléphone. Je ferai mettre devant la tour un panneau où il sera écrit en lettres majuscules : “I CI, VOUS N’AUREZ JAMAIS LE TÉLÉPHONE  !” Vous verrez si vous les vendrez, vos appartements ! »
    « Quelques jours plus tard, raconte Galley, l’Équipement cédait et la tour avait un étage de plus. »
    Passant à la politique, il défend Chaban avec vigueur : « Chaban a réussi son pari social. Les contrats de progrès, les contrats de programmes, tout cela a marché. Contrairement à certains, je défends mon Premier ministre, moi ! »
    Énergique, baroudeur, drôle même, il est bien l’un des rares ministres à faire passer un courant d’air frais dans cette atmosphère alourdie.

    11 avril. Déjeuner avec Maurice Couve de Murville
    On lui parle du référendum européen et de la continuité de l’action gaulliste. Il lève les sourcils, faussement étonné. Et commence par se taire.
    N’a-t-il pas d’opinion ?
    « Non, répond-il.