Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977

vite.
    À noter que le comité exécutif de la Fédération a décidé que chacun des candidats devra demander son investiture et qu’ils s’engageront à respecter pour le second tour les décisions prises par lui. Ce qui donne à Mitterrand, comme président de la Fédération, une importance primordiale.

    5 décembre
    C’est presque de l’opérette. Politique certes, mais opérette tout de même ! On les appelle les « jeunes loups ». Ils sont tous à l’UNR et ont juré solennellement, hier, dans le Sud-Ouest où ils se présentent, fortement soutenus par Georges Pompidou, de lutter ensemble et de « faire tomber les murailles » du radical-socialisme rouge, très bien implanté de Limoges à Brive. Apparemment, c’est Jean Charbonnel, secrétaire d’État à la Coopération et député-maire de Brive, qui dirige la petite escouade. Avec lui il y a Jean-Pierre Dannaud et le docteur Bernard Pons, et aussi Pierre Mazeaud, l’alpiniste, ainsi que Jacques Chirac, le plus jeune, chargé de mission chez le Premier ministre. Dannaud, le plus âgé, est aussi le plus connu pour avoir dirigé en Indochine le bureau de presse du maréchal de Lattre de Tassigny, « le roi Jean ».
    Ce qu’on ne sait pas, dans ce serment collectif, ce sont les chances exactes qu’a la petite escouade de faire échec aux vieux seigneurs de gauche qui dominent le paysage politique de Limoges à Périgueux.Les bastions de la gauche dans le Sud-Ouest sont-ils solides ou vermoulus ?

    14 décembre
    Du jamais vu. Hier, c’est-à-dire il y a quelques heures seulement, une délégation du PC, conduite évidemment par Waldeck Rochet, arrive au siège de la Fédération de la gauche, rue de Lille. Il est accompagné de Georges Marchais et de Roland Leroy 3 . Les deux délégations, Mitterrand avec Guy Mollet et René Billères 4 , Waldeck Rochet et les siens, se faisant face, s’installent dans la salle de réunion autour de la plus grande table dont dispose, dans ses petits locaux, la FGDS. Tandis que les photographes s’en donnent à cœur joie, je remarque que Roland Leroy, visage aigu, tout en angles, sourire ironique aux lèvres, ricane en s’adressant à Georges Marchais, tout bas, sans que personne, pas même sans doute Waldeck, en salamalecs avec Mitterrand, n’entende. Qu’est-ce que se disent ces deux-là, qui n’ont pas l’air d’avoir leur langue dans leur poche ? Je ne le sais pas. Je ne le saurai sans doute jamais, mais je suis étonnée de les voir ainsi spectateurs de la rencontre, comme s’ils étaient extérieurs à ce qui s’y passe 5 .
    Puis les portes se referment sur les délégations, qui ne diront pas un mot, en sortant, à la petite troupe de journalistes, dont je fais partie, qui les attend. Mais les photographes ont droit à la poignée de main Waldeck Rochet-Mitterrand, qui leur suffit.

    20 décembre
    La seconde rencontre a eu lieu le 16 au siège du Parti communiste 6 . La salle était beaucoup plus solennelle que celle de la rue de Lille : pièce plus vaste, décorée des trois portraits de Marx, de Lénine et de Maurice Thorez.
    La troisième rencontre, décisive, a eu lieu hier, à nouveau rue de Lille. Le malheur est qu’elle s’est terminée après deux heures du matin. J’étais partie me coucher depuis longtemps.

    21 décembre
    En revanche, je suis là à 15 heures, au siège du PC, aujourd’hui, pour la remise à la presse de l’accord entre les deux formations. François Mitterrand est content de pouvoir parler des « limites présentes et des espérances futures ». Les termes sont révélateurs de son ambition : il compte bien jouer tout son rôle dans l’avenir et aller plus loin qu’un simple texte électoral.
    1 - Agrégé d’histoire et ancien élève de l’ENA, Jean Charbonnel a commencé sa carrière au MRP puis a rejoint l’Union démocratique du travail (UDT), le parti des gaullistes de gauche. Il est secrétaire d’État aux Affaires étrangères en 1966.
    2 - Ancien ministre SFIO, ancien député du département.
    3 - Ainsi que de François Billoux, Étienne Fajon et Paul Laurent.
    4 - Ainsi qu’Ernest Cazelles, Claude Fuzier, Michel Soulié, Pierre Brousse, Louis Mermaz et Charles Hernu.
    5 - Faux. Je le saurai à l’été 68 lorsque, répondant à ma question, cliché du photographe de L’Express , Manuel Bidermanas, à l’appui, Roland Leroy me confiera qu’ils ironisaient sur le comportement de François Mitterrand : ils trouvaient que,