Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
samedi et dimanche 29 et 30)
Le congrès socialiste coïncide avec le 20 e anniversaire de l’élection de Guy Mollet au secrétariat général de la SFIO. Il commence donc par un banquet en son honneur, d’une centaine de couverts. Les membres de la direction ont choisi de lui offrir une tapisserie d’un élève de Lurçat.
Le lendemain, Guy Mollet parle. Au sein du Parti socialiste, beaucoup ont des positions différentes, voire contradictoires. Il y a ceux qui veulent mettre le PC devant ses responsabilités tout en espérant qu’il n’ira pas loin dans le rapprochement avec les socialistes. Il y a la position de Claude Fuzier, pour qui « il n’existe pas d’avenir endehors de l’union de toute la gauche en vue de la prise de pouvoir et du gouvernement en commun ». Guy Mollet doit faire la synthèse et se prononce clairement en faveur de la discussion avec le Parti communiste. C’est que les élections sont proches et que tout tourne autour de l’alliance électorale avec le PC.
À la pointe de l’habileté, Mollet a fait adopter une position dont il a le secret, toute en nuances : pas question d’un accord de désistement automatique et national entre la Fédération et le PC, mais désistement prioritaire au bénéfice de la gauche, PC ou PSU, même sans réciprocité. La priorité, oui. L’exclusivité, non.
Sur le fond, au-delà des perspectives électorales, Guy Mollet est allé plus loin que jamais : il recommande « une explication loyale, franche, même sévère », avec le Parti communiste.
C’est-à-dire qu’il accepte et fait accepter l’ouverture de négociations.
Gaston Defferre, du coup, ne décolère pas : « Il n’y a pas de langage à tenir aux communistes, me dit-il. Il y a un courant à créer dans le pays. Il faut faire vite. Depuis deux mois, on s’enlise ! »
Merveilleux lapsus de Guy Mollet : aux journalistes qui l’entouraient samedi soir et lui demandaient « comment il avait arrangé son coup », il a assuré en souriant : « N’allez pas croire que tout était préparé. À la SFIO, tout se décide hier... » Il voulait dire : « demain dimanche ». Il a éclaté de rire le premier : « Je ne suis pas freudien, mais je sais ce qu’est un lapsus significatif. »
Le moins qu’on puisse dire en effet est que tout avait été préparé à l’avance. Guy Mollet avait rencontré par deux fois François Mitterrand la semaine précédente, cité Malesherbes, au siège de la SFIO, puis rue de Lille, à la Fédération de la gauche. Il lui avait montré la motion qu’il venait de faire adopter par ses militants du Pas-de-Calais : celle qu’il proposerait quelques jours plus tard au congrès national.
« Allez-y, lui a dit François Mitterrand, c’est vous que cela regarde. Moi, ça me va. »
Le secrétaire général de la SFIO avait été plus loin : il avait de même rencontré l’inlassable M. Bons Offices du Parti communiste français, celui-là même qui avait mené les négociations avec Mitterrand en 1965. Il s’agit de Jules Borker. J’aime beaucoup cet homme, que j’ai moi-même rencontré à quelques reprises au cours de l’année. Petit, les yeux sans cesse en mouvement, avec un visage vif et malin, l’avocat communiste est devenu un familier de toute la gauche non communiste et de certains journalistes. On a toujours l’impression,avec lui, d’être dans un roman policier. J’ai décroché deux ou trois rendez-vous avec lui dans des cafés, entre Saint-Germain et la rue du Bac. C’est tout juste si je n’ai pas mis, pour ces entrevues furtives, un imperméable couleur de muraille.
Guy Mollet a obtenu de lui que Waldeck Rochet lui envoie une lettre, le vendredi de l’ouverture du congrès de Suresnes. Il avait donc raison lorsqu’il a commis ce lapsus qui nous a fait rire : tout s’était décidé « hier », et il a fait accepter par les socialistes une motion soigneusement préparée les jours précédant le congrès.
Guy Mollet avait eu un moment l’intention d’inviter François Mitterrand à Suresnes. Il y a renoncé, de crainte de bousculer le protocole socialiste.
2 novembre
Rencontré Guy Mollet. Il me reçoit, le regard bleu en éveil derrière ses grosses lunettes, le front dégagé, la cigarette vissée à la lèvre inférieure, dans son bureau du premier étage de la Cité Malesherbes. C’est la pièce qu’il préfère, encombrée de papiers, de livres, de souvenirs socialistes.
Il
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