Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
armes et bagages ? Parce que, m’explique-t-on, son débarquement en Isère a buté, dès le départ, sur le choix du suppléant. Qui prendre ? Il a longtemps hésité. Le maire socialisant Hubert Dubedout, qui s’était engagé à ne pas sortir du cadre municipal, a refusé sa proposition. Alors qui ? Son premier adjoint ? Son deuxième adjoint ? Trop SFIO. Un PSU ? Là, ce sont les socialistes qui ont râlé. Mendès a finalement posé ses conditions : il voulait choisir son suppléant parmi quatre hommes de moins de 40 ans, tous socialistes, mais de profil différent : un avocat,un cadre administratif, un employé à la Sécurité sociale, un artisan mécanicien.
Le sort est tombé sur le plus jeune, Guy Nevache, 32 ans, un homme bien sous tous rapports, frais et rose comme un bébé, ancien avocat et chef de cabinet de Hubert Dubedout, né d’une famille grenobloise et socialiste. Tout pour plaire, sauf qu’il ne boit que de l’eau. « Dommage, sourit Mendès, nous sommes tous les deux un peu trop sobres pour nos électeurs. Je vous aurais préféré plus alcoolique... »
Manifestement, ce que Mendès préfère ici, c’est se trouver face à un électorat sociologiquement plus moderne et dynamique, celui des couches dites nouvelles. Les communistes, aujourd’hui, n’ont plus le vent en poupe : leurs effectifs sont en décrue depuis 1958, ce qu’a illustré leur arrivée en troisième position au scrutin municipal de mars 1965. La victoire est allée à la gauche non communiste menée par Dubedout. Mendès doit lui aussi impérativement arriver avant les communistes au premier tour, et négocier leur désistement au deuxième.
Il n’entend pas pour autant négocier avec qui que ce soit : « Je ne suis pas venu ici pour cela, me répond-il, légèrement agacé lorsque je lui pose la question de ses alliances. Je suis là pour dire : voilà ce que je veux, qui m’aime me suive ! »
Ce qui l’intéresse, ce sont les Jeux olympiques, qui doivent avoir lieu prochainement. Il voit tout le parti qu’il pourrait tirer de cet enjeu capital pour le développement de l’Isère et de Grenoble : patinoire géante, des hôtels en pagaille, deux autoroutes, un village olympique, une voie urbaine. Il s’y fera, s’il est élu, une image de bâtisseur, de constructeur de la cité future. Une dimension qui lui manque.
Curieux comme cet homme me semble cassé... Hormis sa voix, superbe, inchangée, quelle lassitude dans son comportement !
20 octobre
Me voici au Mans. Là encore, problème des socialistes : referont-ils liste commune avec les communistes, comme ils l’avaient fait en mars 1965, ou choisiront-ils de se rapprocher du centre ? Tout le pari de Mitterrand est là. Que veulent les socialistes ? Stratégie Mitterrand, soutenue par Guy Mollet, ou stratégie Defferre : that is the question !
2 novembre
Patatras ! À une heure et demie du matin, hier, au Mans, les socialistes ont décidé de rompre l’alliance qu’ils avaient conclue l’année dernière avec les communistes et de laisser ceux-ci se présenter seuls, le 6 novembre, contre la liste centriste du maire sortant. L’année dernière, les deux partis avaient frôlé la victoire aux municipales : il leur avait manqué huit voix ! Pas assez pour être élus, mais assez pour contester la victoire – ce qu’ils avaient fait. Sans attendre, le maire élu avait décidé de démissionner et de se représenter.
Pourquoi la rupture, pourquoi à quelques mois des législatives ? Il faut dire que, l’année dernière, la section SFIO n’a accepté l’alliance avec les communistes que par sept voix contre six. Une majorité insuffisante que Christian Pineau 2 , tout juste revenu au secrétariat sarthois de la SFIO, a facilement fichue par terre : il est vrai qu’il va se présenter aux législatives contre l’actuel député communiste, Robert Manceau. De leur côté, les communistes n’ont rien fait pour aplanir les difficultés : leur candidat à la mairie était le plus stalinien de tous, un dénommé Pierre Combe, qui, deux jours avant la décision socialiste, a inondé la ville de tracts en forme de véritables ultimatums à la SFIO.
Ce ne serait rien – ou pas grand-chose – si les relations entre communistes et socialistes ne cessaient partout de se dégrader. L’Humanité ne cesse d’aboyer.
30 octobre (écrit après le congrès de la SFIO qui vient de se dérouler à Suresnes,
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