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Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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encore jamais vu dans sa dimension politique, sur une estrade, face aux militants. Il est devenu un combattant.
    22 février. Rencontre Pompidou-Mitterrand à Nevers

    C’est la première fois qu’ils se rencontrent. Pour Pompidou, pour le nouveau Pompidou que j’ai vu se dessiner porte de Versailles, le mois dernier, il s’agit d’une tactique délibérée. Ce soir, il était à Nevers, pour affronter le leader de la gauche. La semaine prochaine, il sera à Grenoble, face à Pierre Mendès France : c’est dire qu’il ne craint pas le choc frontal, que dis-je, qu’il recherche le choc frontal avec les deux premiers ténors de l’opposition.
    Bousculade indescriptible donc au parc des expositions, baptisé « Hiroshima mon amour » en hommage au film d’Alain Resnais, à Nevers. Il y a là des commerçants de la Loire, des paysans du Bas-Berry venus en 404, et un nombre inouï de barbouzes arrivées sous la conduite de Paul Comiti, leur chef, par le train du soir. Une foule de journalistes, alléchés par l’odeur de la bataille. Et pas beaucoup de partisans de gauche, hormis la petite troupe qui accompagne François Mitterrand. La salle, on le sait, lui est très majoritairement hostile.
    Du diable si je sais pourquoi ce soir la voiture de Mitterrand est en panne, ou n’est pas là, lorsque le cortège d’amis, de partisans, de journalistes, autour de Mitterrand s’ébranle, depuis le café proche de la mairie, vers le lieu de la rencontre. Claude Tchou, l’éditeur, qui m’a accompagnée à Nevers, se propose comme chauffeur. Mitterrand accepte. Peu importe que la voiture soit une Porsche 911 S : le candidat de la gauche ne reconnaît même pas la marque de la voiture de luxe que ses adversaires pourraient lui reprocher et monte sans hésiter à côté du conducteur.
    Nous voilà partis dans les ruelles de la cité nivernaise. Le reste de la troupe nous suit, tant bien que mal, se frayant un chemin à travers la flicaille, très nombreuse, qui balise les trottoirs. Au passage prévu pour la presse, je m’extirpe de la voiture, laissant Claude Tchou parvenir seul à l’entrée prévue pour François Mitterrand.
    Tandis que je me bats pour entrer (c’est Comiti, finalement, la barbouze en chef, qui m’ouvre le chemin et m’amène dans un coin de la salle avec mes confrères), Mitterrand descend l’allée qui l’amène au chemin de la tribune, au niveau presque de Pompidou. À regarderl’un et l’autre sur le ring, je trouve qu’ils finissent par se ressembler. Lorsqu’ils s’observent, (mais n’est ce pas moi qui invente ça ?) il y a dans leurs yeux quelque chose comme du respect, au-delà de l’hostilité politique. Une certaine reconnaissance du professionnalisme et de la résistance physique de leur adversaire.
    Depuis ces dernières semaines, ils vivent l’un et l’autre de la même manière. Pompidou sillonne la France en Mystère 20. Opposition oblige, Mitterrand a choisi de se déplacer, parce que c’est moins cher, en avion à hélices et en voiture. Mitterrand a toujours aimé les salles hostiles et les peurs surmontées. Pompidou, lui, s’est pris au jeu : le professeur s’est mis à aimer dompter les chahuts des meetings, il aime surtout les cris et les acclamations. Ils sont tous deux morts de fatigue et ne retrouvent des forces que devant ces salles désuètes où ils se font applaudir ou huer. Ovationnés, ils sont galvanisés. Sifflés, ils mobilisent toutes les ressources de leur agressivité. Bref, ils se ressemblent.
    Pas une des cinq mille personnes réunies sous le chapiteau du palais des expositions ne s’y trompe : ce sont, au-delà des élections législatives, deux candidats à une future présidentielle qu’elles sont venues écouter ce soir. Ce qui les passionne dans cet affrontement, c’est qu’il préfigure, à leurs yeux, la bataille de 1972 4 .
    Pompidou a, comme d’habitude, un sourire matois. Mitterrand a, comme d’habitude, son sourire crispé. Atmosphère difficile pour Mitterrand : la salle est toute entière derrière Pompidou. Mitterrand n’a à ses côtés qu’une centaine de partisans disséminés, dont une partie n’a pu trouver place dans les travées.
    Le Premier ministre, visage d’oiseau de proie, attaque : il parle de sa voix grave, presque terne. Il dit que les différentes oppositions qui se dressent contre la V e République conduisent les Français « non seulement vers le désordre, mais dans le

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