Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
« Ah non, pas tellement !
– 30 % ?
– Non : autour de 28 %. C’est alors seulement que le PS sera une vraie force de rechange ! »
Il continue : « Et si nous ne prenons pas la majorité la prochaine fois, il se passera bien quelque chose. Nous serons alors de 150 à 200 députés, nous compterons. »
Tout cela va dans le même sens, mais peut-être est-ce que je me trompe ? Je me dis pour la première fois que Mitterrand se pose désormais le problème de cette façon : ou l’union de la gauche, ça marche, et, dans ce cas-là, il arrive au pouvoir avec les communistes ; ou l’union de la gauche, ça ne marche pas, et, dans ce cas, il est à la tête du parti le plus fort de France (quand je lui dis : « Vous croyez que le Parti socialiste sera un jour le plus grand parti de France ? », il me répond : « C’est déjà fait, non ? »), et il accepte, lui, de jouer l’alternance avec Giscard, dont il pense (voir plus haut) qu’il est plus mobile et moins fermé que Pompidou et que Chirac.
Je gagerais qu’il préfère la seconde solution, maintenant, au bout de plus d’un an de conflit avec les communistes, à la première. D’autant plus qu’il ajoute : « Les Français sont un peuple de rognards, à la fois pour Giscard et pour son contraire. »
Au fond, je m’aperçois qu’il y a beaucoup de choses dans ce qu’ilm’a dit. Et surtout dans ce qu’il ne m’a pas dit. Je suis sûre de ne pas me tromper, à la réflexion : il a désormais une seconde voie. Personne ne le dit encore, mais il me paraît maintenant évident, au moment où j’écris ces lignes, quelques heures après notre bizarre interview, qu’il m’a fait une formidable confidence : il a deux possibilités devant lui, qui toutes deux reposent sur le fait que le Parti socialiste est devenu ou resté le premier parti de France. Et que Giscard, après avoir été obligé de tenir compte de l’UDR, sera obligé, en 1978, de tenir compte de la suprématie politique des socialistes.
20 novembre
Après que Jean-Jacques Servan-Schreiber a quitté la présidence du Parti radical, François Garcia, un de ses proches lieutenants, est resté aux côtés du président intérimaire, Gabriel Perronnet. C’est lui qui me dit aujourd’hui, presque avec désespoir, que ce Perronnet-là, personnage moustachu qui, physiquement, pourrait être le héros d’une pièce de Courteline, n’a que des atouts. Il est populaire chez les militants comme chez les élus. Sur le plan de la gastronomie, il est sans pareil. Il est bien vu de Valéry Giscard d’Estaing, qu’il amuse, et Chirac le considère comme un bon secrétaire d’État. Il a créé des groupes de travail, lancé une réflexion en vue de rédiger la charte du radicalisme. Bref, ce président intérimaire est bien sous tous rapports.
À cette nuance près, me dit Garcia, désolé, qu’il est tout le contraire de Jean-Jacques. Et qu’il s’agite, de comité en comité, « d’organismes fictifs, imaginaires et bidon », pour un bilan nul !
Quelle tristesse, tout de même, pour J-J S-S : laisser le Parti radical à cet homme boursouflé !
En plus, il va y avoir un congrès radical à Lyon. Pour quoi faire ? « Nous allons à un congrès minuscule, me dit Garcia, et qui ne vaudra pas le prix du billet pour Lyon ! »
Le plus surprenant est que c’est Jean-Jacques qui a dit à Garcia de jouer le jeu de Perronnet. Pas question pour ce même Garcia d’accepter que le président intérimaire devienne permanent. Mais qui présenter pour ce poste ? Jean-Claude Colli, le jeune inspecteur des finances proche de Jean-Jacques ? Il n’a guère de chances. Michel Durafour ? Il ne le souhaite pas. Brigitte Gros, la sœur de Jean-Jacques ? Ce serait lui par personne interposée : ça ne marchera pas.Alors reste Françoise Giroud. « Moi, je jouerai Françoise », me dit-il.
Je sors de là en me demandant ce qu’elle irait faire dans cette galère. D’autant que je le sais, moi : les radicaux en ont marre de Jean-Jacques !
Le Perronnet leur ressemble davantage, et ils le préfèrent. Non seulement Françoise Giroud, que j’aime tendrement, n’a rien à gagner à aller à cette bataille, mais je sais qu’elle s’y ferait battre.
Vu Aymar Achille-Fould, qui a constitué la gauche réformatrice dans le but de débaucher (à coups de bouteilles de son pinard, sans doute !) quelques socialistes.
Désolant ! Un petit déjeuner où il
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