Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
nous parle de thèmes de réflexion, d’idéologie. Il a l’intention, dit-il, non de débaucher, mais de « déparisianiser la politique ».
À quelles extrémités le goût du pouvoir amène les hommes ! Son petit groupe, son petit parti, ses petits comités, tout cela pour être un petit président !
28-30 novembre
74 e congrès du Parti radical. Lorsque j’arrive à Lyon, Jean-Jacques est à la tribune dans un complet bleu marine strict. Très beau discours sur la réforme, mais qui tombe à plat. Car il rappelle qu’en 1971 l’objectif du Parti radical, qu’il venait de conquérir, était la lutte contre l’État-UDR, et que celui-ci existe toujours. Car il demande la liberté de critique vis-à-vis de Giscard, et que personne n’en veut, au Parti radical.
Lorsqu’il dit : « Rien n’est pire que de voir les radicaux devenir les supplétifs silencieux d’une vieille majorité qu’ils ont longtemps combattue. La conscience de la majorité nouvelle, c’est vous, ou alors il n’y en a pas ! Vous devez choisir chaque occasion de critiquer, voilà votre pouvoir ! » – c’est comme s’il parlait dans le vide.
Samedi soir, je retrouve Françoise dans sa chambre d’hôtel. Jean-Jacques, qui a assuré publiquement le contraire, lui demande de se présenter à la présidence du Parti radical. Je lui démontre qu’elle aurait tort de le faire, et qu’elle sera battue. Elle en convient. Elle m’assure que, cette fois, elle ne cédera pas aux sirènes de Jean-Jacques.
Lorsque je retourne dans la salle du congrès, dimanche matin, j’entends que le scrutin est ouvert et que Françoise est candidatecontre Perronnet. Entre mon intervention dans la soirée d’hier et ce matin, Jean-Jacques l’a convaincue de livrer un combat inutile. Il y a quelque chose de ridicule dans cet affrontement : c’est la Belle et la Bête, vraiment !
Je n’attends même pas les résultats du scrutin : je fonce à l’aéroport pour revenir dare-dare à Paris. Il est midi, l’avion est presque vide quand je monte à son bord. Surprise : Françoise Giroud est au premier rang. Je ne comprends pas : elle s’est donc présentée sans croire un instant à ses chances ? Et sans même avoir attendu le verdict des militants ?
Hé oui, c’est exactement cela. Elle me le confirme avec une sorte d’indifférence. Elle n’a pas voulu dire non à Jean-Jacques, voilà tout. Elle ne fera pas une seule autre allusion au congrès radical de tout le voyage. Nous nous séparons à Orly sans en avoir parlé.
9 décembre
Conférence de presse de Mitterrand sur les affaires militaires, qui viennent de prendre une tournure inattendue avec l’explosion du mécontentement dans l’armée, la création de comités de soldats.
Sa position est difficile. S’il apparaît du côté de ceux qui veulent que la Grande Muette fasse sa révolution, il apparaît peu crédible comme futur chef de l’État. S’il redit sa croyance dans une politique de défense efficace, les gauchistes vont protester. Heureusement, grâce à l’action de Charles Hernu, l’antimilitarisme est faible au sein du Parti socialiste. C’est merveille de voir Mitterrand passer outre les écueils, affirmer à la fois que le malaise de l’armée est entretenu par le gouvernement et que le PS « n’a rien à voir avec les menées irresponsables de groupes actifs très réduits ». Il refuse que les meneurs soient traduits devant des tribunaux politiques d’exception, mais l’armée doit rester « au service intransigeant de la patrie ».
Son propos liminaire est court. Dans ses réponses, il biaise en distinguant entre l’attitude défaitiste de la classe dirigeante française pendant la Deuxième Guerre mondiale et le courage du peuple français.
Il en profite pour accuser le gouvernement d’avoir voulu créer une diversion au moment où il s’apprête à toucher aux conquêtes sociales. « Si Chirac a voulu réduire l’influence du PS ou l’embarrasser par une manœuvre politicienne, il a échoué ! »
Une fois de plus, l’adversaire, c’est Chirac. Pas Giscard.
1 - Celui-ci compte 16 socialistes, 4 communistes et 10 conseillers de l’opposition départementale (Républicains indépendants et UDR).
2 - Journaliste et producteur de télévision. Auteur avec Alain de Sédouy et Marcel Ophuls du Chagrin et la Pitié .
3 - Gabriel Perronnet, député de l’Allier, est secrétaire d’État auprès du ministre de la
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