Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
majorité ! »
À noter aussi qu’il me parle des ministres RPR. Robert Galley et Yvon Bourges, visiblement, ne lui posent aucun problème, il en fait son affaire. Mais Olivier Guichard, c’est une autre paire de manches. Giscard lui en veut. Il lui en veut de ne pas avoir pu – ou su – coordonner une majorité « incoordonnable ».
A-t-il vraiment cru que, après le départ de Chirac, quelqu’un était en mesure de le faire ?
14 mars
Premier tour des municipales. Vaste progrès de la gauche. Élection à peu près assurée de Jacques Chirac à Paris.
Philippe Moret, conseiller politique de Guichard, m’appelle de la part de Guichard. Je lui demande quelle conclusion ce dernier tire des chiffres des municipales. Il répond :
« Qu’on ne devrait plus nous faire braire avec l’équilibrage de la majorité ! »
Cela veut dire que, selon Guichard lui-même – on ne peut pas le suspecter d’adorer Chirac –, le RPR est beaucoup plus fort que les Républicains indépendants, les chiraquiens plus forts que les giscardiens. Autrement dit, Giscard n’a toujours pas de majorité dans le pays. Il en aurait encore moins sans le RPR.
Il croit savoir que Giscard prévoit un remaniement ministériel après les élections municipales, toujours dans le but de « dégager » ce qu’il appelle les « mauvais » ministres. Dont, sans doute, Olivier Guichard à ses yeux fait partie.
Raymond Barre, lui, serait très hostile à ce remaniement. Celui-ci serait sans doute différé jusqu’en juin. À vérifier.
Conclusion de Moret : « Il faut aider Giscard à ne pas être fou, c’est-à-dire à ne pas déclarer la guerre au RPR. »
Le ton a changé : Chirac aurait-il gagné aussi chez les barons ?
21 mars
Au deuxième tour des municipales, hier, la gauche a pris le contrôle de 156 villes de plus de 30 000 habitants. Dans cette défaite globale de la majorité, la victoire de Jacques Chirac, en position d’être élu sans difficulté à la mairie de Paris, fait diversion. Déroute pour Michel d’Ornano, battu dans le 18 e arrondissement, où il s’était finalement présenté après avoir guigné le 17 e , dont l’électorat était sûrement mieux adapté à sa candidature. Il ne siégera même pas au conseil municipal ! C’est un énorme camouflet aussi pour Giscard, qui l’a finalement bien peu soutenu pendant la campagne.
J’ai vu aujourd’hui Guichard, découragé, énervé à l’idée que Giscard ne le voie presque plus alors qu’il pense avoir des conseils à lui donner.
Un tour de table est prévu au Conseil des ministres du 23 mars, où il compte dire ce qu’il a sur le cœur. Ahurissant : il paraît que, après le premier tour, aucun ministre n’avait soufflé mot des municipales au Conseil qui a suivi.
25 mars
Je m’aperçois que les problèmes de la majorité, le conflit Giscard-Chirac et les municipales prennent tellement de place dans la vie politique nationale que je ne me préoccupe plus de la gauche. Je rencontre pourtant de façon suivie Claude Estier, Gilles Martinet, Pierre Mauroy, sans juger bon de consigner leurs propos dans ce cahier. Limites du journalisme : j’ai tendance à ne retenir que les propos qui traitent de l’actualité immédiate, ou plus exactement que je peux exploiter « à chaud » dans un article.
Apparemment, la gauche ne souffre pas de mon désintérêt provisoire, puisque les élections municipales ont montré qu’elle était prospère. J’en conclus que les communistes font moins peur aux Français qu’à leurs élites.
Jean Lecanuet est aujourd’hui l’invité de la presse parlementaire. Ilest à l’aise, comme d’habitude, avec ce visage d’acteur trop lisse, ce sourire un peu trop éclatant, son vocabulaire relâché ou, au contraire, très contraint selon qu’il s’adresse à son interlocuteur en privé ou en public. Il reste favorable, de manière « franche et loyale », au pacte majoritaire, incluant donc le RPR. « La discorde est néfaste, l’adversaire commun en profite, le sort de la France est en jeu, l’union doit être la loi. »
Le ciment de l’union est évident : la crainte de voir les communistes arriver au pouvoir aux côtés des socialistes. Et l’intérêt du CDS, mouvement centriste auquel il appartient, est d’autant plus clair : gagner les élections de l’année prochaine.
Pour cela, il est convaincu que le changement de mode de scrutin, l’adoption de la
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