Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
représentation proportionnelle et l’abandon du scrutin majoritaire uninominal à deux tours sont nécessaires. Si scrutin proportionnel il y a, deux sortes de listes peuvent exister. Soit des listes d’union : dans ce cas, pas de problème de report de voix, les rivalités disparaissent. Soit des listes distinctes : dans ce cas, le mode de scrutin reflète le pluralisme, sans conflit. « Il me paraît, conclut Lecanuet, le meilleur pour la France. »
À ceci près que les gaullistes n’en veulent pas et que Giscard n’a pas osé le proposer aux députés. Il est vrai que sa majorité aurait sans doute explosé sur un tel sujet. Plus courte est la distance qui nous sépare des législatives, plus difficile devient l’adoption d’un nouveau système électoral.
Malin comme un singe, et beaucoup plus expérimenté – en tout cas politiquement – qu’il en a l’air, Lecanuet a tout de même compris qu’une modification du mode de scrutin serait difficile, voire sans doute impossible, à faire adopter avant 1978. « Pour nous, précise-t-il du coup, la proportionnelle n’est pas un dogme, le scrutin n’est qu’une technique de consultation. Je pense seulement qu’il est bon de la modifier de temps à autre. »
Un journaliste lui demande s’il est vrai que les « voix chrétiennes » s’enfuient vers le Parti socialiste. La question embarrasse Lecanuet, qui n’a jamais voulu revendiquer pour son mouvement le monopole des voix chrétiennes (contrairement à l’ancien MRP de la IV e République) ; il prend la précaution de souligner que son mouvement est laïque et admet simplement que le rôle qu’il peut jouer, « c’est de parler, c’est de me battre pour leur montrer où le programme commun et l’alliance avec les communistes peuvent les amener ».
Quant à l’organisation de la majorité, il ne cache pas que beaucoup dépend du RPR. Si celui-ci veut aller au combat tout seul en disantpar exemple : « Nous sommes les plus forts, nous voulons des primaires partout », il est évident, précise Lecanuet, que « la position des dirigeants du RPR nous pousserait, dans ce cas, à rechercher un accord avec les autres formations de la majorité et à le faire sans eux ».
Conclusion en forme de légère menace : « Je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure méthode pour gagner ! »
28 mars
Déjeuner avec Raymond Barre
« Je me marre, répète-t-il plusieurs fois, je me marre ! » Je ne sais pas pourquoi, car il me semble qu’il n’y a pas de quoi, il affiche aujourd’hui cette bonne humeur. Pourtant, le rire paraît à certains moments forcé, presque artificiel.
Mais ce n’est pas un homme qui cherche longtemps à finasser. Il dit les choses comme il les sent, parfois en analyste de la chose politique et économique, parfois, au contraire, en acteur engagé. Ainsi est-il capable d’exposer, avec distance et sérénité, dès les hors-d’œuvre, les raisons de la victoire de la gauche. Il met en cause le vieillissement de la majorité et parle même de sa « sclérose ». Ce qui donne aux Français le sentiment, dit-il, qu’elle n’est plus en mesure de gérer le pays, que la France n’est donc pas gouvernée. « La division, ajoute-t-il, n’arrange rien. »
Il évoque aussi, presque avec détachement, « l’erreur commise à Paris », 57 % des électeurs avaient voté pour Giscard à la présidentielle de 1974. Tout cela pour arriver à ce que d’Ornano soit battu et qu’il ne puisse même pas faire son entrée au conseil municipal ! « D’Ornano aurait dû se retirer », assure-t-il comme s’il avait été extérieur à cette campagne.
En réalité, il continue à penser que Chirac a su mobiliser le RPR, qu’il en a fait un outil politique fort, tandis que les centristes restent « un agglomérat de formations évanescentes, appuyées sur des notables politiquement dilettantes. »
Je lui demande quel rôle ont joué, pendant la campagne municipale, les ministres d’État : Ponia, Guichard, Lecanuet. Réaction plus que prudente de Barre, qui noie la question dans une réponse confuse. Bref, qui ne me répond rien. Je sens qu’il est inutile d’insister : sur ce sujet, il restera muet.
En revanche, dès qu’il est question de politique économique, il s’emballe : « Je ne changerai pas d’un iota ma politique économique », prévient-il, toute distance et toute sérénité abolies. Même solennitélorsqu’il nous
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