Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
s’était chargé d’amener l’UDR dans le giron de Giscard. J’insiste : était-ce crédible ? « Giscard y a cru, me répond-il, parce que Chirac le lui assurait ! » Sous-entendu : Chirac a trahi ses engagements et gardé les gaullistes pour lui.
Le malentendu a été total entre les deux hommes. Je pense néanmoins que, si Giscard avait moins cru en la domination intellectuelle, politique, sociale même, qu’il exerçait sur Chirac, il aurait été plus prudent avec son Premier ministre. Et si Ponia ne l’avait pas entretenu dans cette erreur d’appréciation, le départ de Matignon de Jacques Chirac aurait pu être évité. Mais peut-être, dans ce cas, ne l’y aurait-on pas nommé !
Pense-t-il, après les municipales, devoir anticiper les élections législatives ? Sans répondre directement à la question, il pense qu’il lui faut être prêt en juin. On ne sait jamais. Lui-même, autrement dit les Républicains indépendants, sera prêt, « mais pas, me dit-il, les petits partis du centre ».
Pot avec Giscard, ce soir.
Deux sujets essentiels (en considérant que, pour le président comme pour Ponia, Chirac a déjà gagné les municipales à Paris, alorsque le scrutin n’a pas encore eu lieu. On imagine l’état dans lequel doit être Michel d’Ornano !) :
L’Europe, d’abord. Giscard ne transigera pas sur ce sujet. Au fond, cela lui paraît le signe d’une « nouvelle clarification » de la majorité. On verra bien, dit-il, qui soutient le président et qui ne le soutient qu’épisodiquement tout en faisant mine d’appartenir à la majorité présidentielle. « Moi, ajoute-t-il, quand j’étais pour le “oui mais”, je ne quémandais pas l’investiture du président ! Il faut savoir ce que l’on veut ! » Donc, il s’apprête à faire une déclaration publique, sans doute au mois de mai, au cours de son voyage en Savoie ou dans le Languedoc-Roussillon. Il y dira qu’il y a une majorité à laquelle appartiennent ceux qui soutiennent le président et à laquelle n’appartiennent pas ceux qui condamnent tous les projets qui lui tiennent le plus à cœur.
La politique étrangère, plus largement, ensuite. Nous revenons sur l’affaire du Concorde. Giscard me rappelle que, en novembre 1969, il a été le premier des ministres à monter à bord d’un Concorde lors d’un de ses vols d’essai. Il n’a jamais été sur la même position que Jean-Jacques Servan-Schreiber, condamnant dès sa construction la « voilure » du Concorde. Il a toujours pensé, au contraire, qu’il s’agissait d’une des plus belles réalisations de l’aéronautique française.
Sur l’opposition actuelle des Américains au vol du Concorde, il pense que ce n’est pas le fait de Jimmy Carter, qui n’a aucun pouvoir, me dit-il, sur les autorités portuaires de New York (dont les initiales, soit dit en passant, sont : PONYA ! !). Je me rappelle que Poniatowski, tout à l’heure, m’a dit le contraire : il pense que les Américains sont hostiles à toute technologie de pointe européenne. Il va même jusqu’à dire que la CIA finance les mouvements écologistes anti-nucléaires, parce que la technologie française est meilleure, sur certains points, que l’américaine.
Si les États-Unis n’acceptent ni l’homologation du Concorde, ni la période d’essai de 14 à 16 mois, me dit Giscard, il en tirera les conséquences. Il réagira en des termes qu’il ne veut pas me révéler aujourd’hui.
Nous finissons, c’était inévitable, par parler une nouvelle fois de la majorité. Giscard prévoit effectivement un affrontement, mais qui ne tournera pas à l’avantage de Chirac : les députés RPR, pense-t-il, ne le suivront pas dans leur totalité, ni même dans leur majorité, « surtout quand j’aurai signalé que les uns et les autres doivent se compteret bien prendre leurs responsabilités, que je reconnaîtrai mes amis et ceux qui ne le sont pas. À Jacques Chirac, s’il le veut, de voter une motion de censure avec les communistes ! Donc, c’est clair, que Jacques Chirac déclenche la bataille s’il le veut, je la gagnerai ! »
Cette démonstration me semble vraie à 100 % si Chirac est battu à Paris, et fausse, largement fausse s’il est élu.
En fin de conversation, Giscard ajoute cette phrase inouïe – je jure que je ne me trompe pas, que j’ai bien entendu – : « L’état-major de la tour Montparnasse ne fait plus partie de la
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