Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
machines-outils, trois ans pour ceci, trois ans pour cela »). Il pense, à sa manière, que le mouvement se trouve en marchant, que les discours, les experts, les calculs économiques sont toujours bousculés par les faits.
Entre les deux hommes, il y a vraiment, dans l’esprit, la manière, la méthode, opposition totale.
8 février
Vu Jacques Dominati, ce matin. Je ne l’imaginais pas aussi déçu de n’avoir pas été choisi comme numéro un à Paris. S’il avait été candidat, assure-t-il, comme Giscard le lui avait promis trois semaines avant d’Ornano (j’apprends à cette occasion que Giscard le lui avait promis, à lui aussi !), il n’y aurait eu dans Paris que deux ou trois arrondissements dans lesquels RPR et giscardiens se seraient affrontés en primaires. La chose était, paraît-il, arrangée avec Chirac dès le mois d’août.
« Ce sont les ministres d’État (Guichard, Poniatowski, Durafour), accuse-t-il, qui ont convaincu Giscard qu’il fallait quelqu’un de “plus fort” que lui à Paris. Beaux calculs, et beau résultat ! »
Il prétend que Chirac, de toute façon, ne sera pas maire de Paris, tant sont grandes les complicités et les combines des dinosauresmunicipaux parisiens. Il pense aussi que Michel d’Ornano sera battu dans la 17 e circonscription.
L’incompréhension des Parisiens est, selon lui, totale. Des électeurs lui demandent sans arrêt : « Est-ce qu’on peut voter à la fois pour vous et pour M. Chirac ? »
10 février
Vu Alexandre Sanguinetti aujourd’hui.
Il éructe à l’idée que Chirac ménage encore Giscard. Chirac doit choisir, proclame-t-il avec sa voix de basse et son profil romain. « Il perd des voix parce qu’il ne franchit pas le Rubicon. » Il convient pourtant qu’il ne faut pas, selon la formule célèbre, « franchir le Rubicon pour pêcher à la ligne ».
Il y aurait, selon lui, en ce moment, un débat très vif au RPR sur le point de savoir si Chirac doit attaquer Giscard tout de suite, ou jamais ; s’il doit attaquer de front le problème, ou biaiser. Ce matin, Jérôme Monod a donné carte blanche à Sangui pour foncer. Yves Guéna, de son côté, doit annoncer à Nîmes, ce soir, que le RPR en a « marre des admonestations ».
Invitée le même jour avec quelques-uns de mes collègues à l’Élysée. Giscard est remonté, car les sondages sont en ce moment bons pour lui et pour Raymond Barre.
Le problème de la majorité ? La majorité sera organisée. Et si elle reste désorganisée ? Pas de réponse. Chirac ? Ce n’est plus un problème : il sera en ballottage au premier tour, élu au second. L’élection à la mairie ne sera pas un véritable événement. « De toute manière, conclut Giscard sur ce sujet, Chirac a échoué ; il voulait réitérer l’exploit du RPF 10 à Paris en 1947. Il n’y est pas parvenu, puisque, à l’heure actuelle, le RPR est à 25 % à Paris. Sa victoire ne sera pas complète, il ne faut donc pas s’en préoccuper. »
J’ai oublié sa formulation exacte, mais pas sa pensée : sa convictionest que la province réglera le problème Chirac. Il réussira peut-être à Paris, mais pas dans la France entière.
Je suis stupéfaite par la facilité – et la rapidité – avec laquelle il feint de maîtriser ce qui lui a échappé jusqu’ici. Il n’a pas vu venir la candidature de Chirac, s’en est offusqué et même alarmé. Il ne lui a pas fallu longtemps pour tenter de démontrer que Paris n’a aucune importance dans le jeu national ! Mais, dans ce cas, pourquoi avoir fait accepter par les parlementaires un nouveau statut pour Paris, et pourquoi y avoir présenté si promptement un de ses proches ?
Avec Raymond Barre, que j’interroge le lendemain sur le sujet, les choses sont plus intéressantes, parce qu’il ne considère pas le problème Chirac comme résolu ou sans importance. Il parle de Chirac :
« Je lui ai dit que cette opération à Paris serait mauvaise pour la majorité en général et pour lui en particulier. Pour la majorité, c’est évident. Mais même pour Chirac : il n’y a pas tellement d’hommes politiques valables, les gens ne comprennent pas sa position. Il va être désavoué et se dévaluer dans cette opération. »
Sur l’Europe, le débat sera engagé. Il lui semble que Michel Debré « perd le sens commun sur ce problème » : « Je vous garantis, ajoute-t-il, que l’Assemblée européenne, une fois élue au
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