Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
dit, au moment où nous l’attendons le moins, presque à la fin du repas : « Ma mission, c’est le sacrifice, je n’attends rien de mes fonctions de Premier ministre, je n’espère rien, je sers la France », comme s’il voulait marquer par là la différence avec ceux qui l’ont précédé et, sans doute, ceux qui le suivront.
30 mars
Quelques conversations après le déjeuner avec Barre succinctement raconté aux pages précédentes. À noter d’ailleurs que, quelques heures après ces agapes, tombait à 18 heures l’annonce de la démission du gouvernement et de la nouvelle nomination de Raymond Barre.
Avec Olivier Guichard, notamment, qui venait de recevoir la lettre de Raymond Barre lui notifiant son éviction du futur gouvernement. Il est un peu écœuré, tout en sachant qu’il n’est pas arrivé à faire ce pour quoi il était entré au gouvernement, c’est-à-dire contenir Chirac. Au reste, comment quelqu’un a-t-il pu penser que Guichard, avec sa placidité et son bon sens, son expérience aussi, parviendrait à contenir ce cheval échappé ?
Il n’a peut-être pas servi à cela, mais il a découvert à cette occasion, me dit-il, qu’il était impossible de gouverner avec Giscard, « à la fois macro et micro-interventionniste », auquel il n’a jamais vraiment pu parler.
Quant à son jugement sur Raymond Barre, il n’est pas meilleur : il n’a eu aucun contact avec lui pendant les sept mois qu’il a passés au gouvernement. Il me dit que c’est un maniaque du coup de téléphone à Giscard. « Même lorsqu’il a fallu désavouer un candidat qui se maintenait dans le 8 e arrondissement de Paris, geste pourtant simple, Barre s’est cru obligé de téléphoner, devant moi, à Giscard, pour demander s’il pouvait le faire ! »
J’ai beaucoup entendu cette semaine, dans la bouche de certains de mes interlocuteurs, qu’on lui reprochait à lui, Guichard, d’avoir participé à la visite de Chirac à Saint-Nazaire, où le discours prononcé par ce dernier a été particulièrement gratiné contre le gouvernement. Il s’en doute, me dit qu’il ne pouvait pas faire autrement. De toute façon, depuis déjà quelque temps, il se disait que les carottes étaient cuites avec Giscard.
Puis vu à nouveau Giscard, aujourd’hui, après l’annonce du nouveau gouvernement 11 .
Toujours confiant dans le redressement économique qui, selon lui, montrera ses premiers fruits à la fin de 1977, il est flou, en revanche, lorsqu’il essaie de parler politiquement de l’action au jour le jour du futur gouvernement.
Il a quelques phrases sur les ministres d’État écartés de ce gouvernement Barre–2 : « L’essai de coordination, dit-il, a complètement échoué. Il était urgent d’y mettre fin. Peu importaient les problèmes que cela posait. Il faut redonner la primauté à l’action gouvernementale et séparer les choses : les partis d’un côté, le gouvernement de l’autre. »
Il me semble bien dur, notamment avec Ponia.
Françoise Giroud, à qui j’en ai parlé, m’a dit hier qu’à son avis cela faisait plus de quelques semaines que Giscard en voulait personnellement à Poniatowski, lequel en souffrait énormément.
Revenons à Giscard, dont je sais à présent – mais ne le savais-je pas déjà ? – ce que valent les fidélités politiques.
« Désormais, nous dit-il, pour chacun des ministres présents au gouvernement, toute phrase prononcée au nom d’un parti ou d’une formation politique vaut démission. »
Tout cela, de toute façon, reste secondaire à ses yeux. Il a confiance, inébranlablement confiance. Il croit vraiment que le temps travaille pour lui, qu’en décembre les courbes de production seront à la hausse, le chômage en baisse, la crise surmontée. Les Français n’auront plus envie de changer de système économique.
« Dans cette France coupée en deux, moi seul peux essayer de parler d’unité, de montrer que les Français peuvent cohabiter avec les Français, ce qui est tout de même la moindre des choses. »
Dans son analyse, le pacte majoritaire n’est pas une fin, c’est un moyen. Il envisage l’écriture d’un texte préliminaire d’une trentaine de pages, comportant des chapitres programmatiques sur l’Europe, l’économie, le progrès social, etc., mis à l’étude par Jean-Pierre Fourcade et qui sera soumis au RPR. « Il faudrait que cela soit prêt avant l’été, si possible ! »
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