Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
suffrage universel, ne réclamera pas des pouvoirs plus étendus, comme il le prétend. Il faut ne pas connaître l’Europe et les fonctionnaires européens pour croire cela. »
Il se lance dans une grande tirade sur le FMI, d’où je comprends surtout qu’il juge absurde la position du RPR. Si quelqu’un envisage de renverser le gouvernement là-dessus, il se laissera renverser « et retournera à ses papillons ».
Évidemment, sa force essentielle est de se ficher de tout, du moins autant qu’on le peut à sa place.
Il raconte aussi, en termes très drôles, l’affaire de Paris, dans laquelle, manifestement, il a agi de bonne foi et s’est fait avoir par les uns et les autres, qui l’ont utilisé. Et termine en affirmant : « De tout cela, les Français se foutent. Parfaitement, ils s’en foutent ! »
Jacques Alexandre, l’ancien journaliste de la télé, qui s’occupe de la communication – tâche difficile ! – au cabinet de Barre, me dit néanmoins, après le déjeuner, que la crainte du Premier ministre, plus encore que celle de Giscard, est que quelque chose d’irréversible se passe au sein de la majorité. Il fait allusion naturellement auxpressions exercées sur Chirac pour que celui-ci rompe avec Giscard (ce dont me parlait Sanguinetti hier). Il croit qu’une divergence existe à ce sujet entre Marie-France Garaud, d’un côté, qui presse Chirac de casser les relations inter-majoritaires avec les Républicains indépendants, et d’attaquer de front Giscard, et Pierre Juillet, de l’autre, qui le freine au contraire.
1 er mars
Simone Veil me raconte qu’elle ne sait pas qui a dit ou fait dire à Olivier Guichard qu’elle ne voulait pas se présenter à Paris ! Elle raconte (ce n’est pas tout à fait la version de Guichard) que, le mercredi précédant l’annonce de la candidature de D’Ornano, Guichard l’a interrogée à l’issue du Conseil des ministres :
« Alors, vous dites non ?
– Non à quoi ?
– Non à la candidature à Paris.
– Mais non, on ne m’a même pas posé la question ! »
J’en conclus qu’il s’agit d’une finasserie de Guichard : il lui a soufflé la réponse avant de lui poser la question !
Toujours est-il que, l’après-midi, elle file voir Barre et lui annonce qu’elle a été « sortie du circuit », mais que ce n’est pas de son fait.
Raymond Barre lui assure que lui-même ne comprend rien à ce qui se passe. Il savait en tout cas que lui-même, pas plus que Giscard, n’était favorable à la candidature de Simone Veil, et qu’ils ont l’un et l’autre tout fait pour l’éviter.
3 mars
Déjeuner avec Jacques Chirac. Il ne doute pas de sa victoire à Paris et m’en parle comme si c’était déjà fait. Faut-il ou non qu’il marque, plus qu’il ne l’a fait par l’annonce de sa candidature, une rupture avec Giscard à cette occasion ? Il n’en est pas du tout sûr : car ce serait apparaître comme un diviseur, alors que sa position, celle en tout cas qu’il affecte, est de dire que, dans une majorité pluraliste, il est naturel qu’il y ait plusieurs candidats au premier tour.
En revanche, il me dit que c’est sur l’Europe qu’il réagira en juin prochain en demandant un engagement écrit au président sur la non-extension des pouvoirs de l’Assemblée européenne. Il convoqueraensuite le comité central du RPR à ce sujet. C’est là-dessus, plus que sur Paris, que, me dit-il, il attend Giscard au tournant !
9 mars
Rendez-vous avec Michel Poniatowski au ministère de l’Intérieur. Il prévoit la victoire de Chirac à Paris, mais on sent qu’il fera tout, et le reste, pour l’en empêcher. Il retrace l’histoire des relations entre Chirac et Giscard de 1974 à 1976 de manière évidemment bien différente de ce que m’a raconté Jacques Chirac. Il emploie les mêmes mots, ou presque, en dépeignant une réalité tout à fait contraire : Chirac n’a pas joué le jeu qu’« on » lui demandait de jouer, « on » attendait de lui qu’il dissolve l’UDR dans la majorité, il ne l’a pas fait, il l’a utilisée pour mettre les gaullistes en ordre de bataille derrière lui, etc.
Je lui demande – en me doutant de sa réponse – s’il n’a pas voulu se débarrasser des gaullistes, si on ne peut pas parler d’un plan d’élimination (politique, évidemment) des gaullistes dans la capitale et dans le pays ? Non, me répond-il, c’est Jacques Chirac qui
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