Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
RPR, outrés par la philippique du Premier ministre, les élus de la majorité sont en proie à une agitation insensée sous l’œil ironique de la gauche. Jean-Pierre Fourcade harangue un petit groupe dans les couloirs : « Un Premier ministre de la V e République ne pouvait pas dire autre chose ! » Les élus RPR filent salle Colbert, la plus grande salle de réunion du Palais-Bourbon, pour parler de l’incident hors la présence des journalistes. En chemin, certains d’entre eux – Robert-André Vivien notamment, grande gueule patentée du groupe parlementaire gaulliste – ont néanmoins le loisir d’alerter les représentants de la presse sur la maladresse et l’agressivité – inutile, disent-ils – de Raymond Barre.
Franchement, je ne sais pas non plus ce qu’il aurait pu dire d’autre à Claude Labbé qui le défiait. Aurait-il dû attaquer aussi durement le président du groupe parlementaire le plus important de la majorité ? Non, disent les uns. Pourquoi pas ? disent les autres. Il me semble qu’en l’occurrence Labbé ne l’a pas volé !
Toujours est-il qu’à l’heure où nous sommes, dans l’attente des décisions prises salle Colbert par le groupe le plus important de la majorité, dont le vote est décisif, je ne sais si Barre sera encore Premier ministre dans quelques heures.
Au moment où j’écris ces lignes, sur une table réservée à la presse dans la salle des Pas-Perdus, je vois Chirac, absent du débat jusque-là, arriver à toute allure et pénétrer à grandes enjambées dans le périmètre réservé aux parlementaires, auquel les journalistes n’ont pas accès. Sans doute se dirige-t-il vers la salle Colbert.
Après la suspension de séance, Barre et Chirac arrivent ensemble dans l’hémicycle. De quoi ont-ils parlé, puisqu’il semble bien qu’en entrant ils poursuivaient une conversation entamée sans doute dans les couloirs ? Mystère. On le saura plus tard. En tout cas, de ma place, je note que Barre fait porter par huissier un mot rapidement écrit à Claude Labbé. Excuses ? Sans doute. Ou quelque chose comme ça. Pourquoi autrement lui aurait-il écrit ?
C’est Yves Guéna qui, au moment des explications de vote, trouve les mots qu’il faut pour apaiser la tension entre Barre et le RPR. Je pense que l’intervention de Jacques Chirac et le mot porté à Claude Labbé ont assuré cette désescalade. Beaucoup de bruit pour rien.
28 avril
Giscard dans le salon de l’Élysée où il reçoit notre petit groupe de journalistes : ravi, sûr de lui, complètement à côté de ses pompes, ou alors peut-être plus intelligent, plus avisé que chacun. Ayant intégré le temps et la patience nécessaires dans ses calculs politiques. Après tout, il l’a toujours fait, et cela lui a réussi.
Il dit qu’il est ravi parce que, tout compte fait, le RPR a voté la confiance. Et il pense que le RPR s’usera s’il continue dans cette opposition qui n’en est pas une, qui ne peut pas aller jusqu’au bout,c’est-à-dire jusqu’au vote de défiance ; il pense donc, ce qui garantit sa sérénité, qu’il finira, lui, Giscard, par gagner.
Nous sommes sidérés, une fois de plus, par son optimisme, mais apparemment c’est nous qui le sidérons.
2 mai
« La majorité n’est pas désunie, me dit Guéna, elle est désemparée. »
12 mai
Face à face Barre-Mitterrand sur TF1. Julien Besançon 12 , qui, avec Henri Marque 13 , présente l’émission, commence par exhorter partisans et adversaires des deux hommes politiques à rester impassibles et à ne pas intervenir dans le débat. Personne n’y songerait d’ailleurs, tant une rencontre de ce type est rare à la télévision. C’est la première fois peut-être, depuis le débat présidentiel de 1974, que majorité et opposition s’affrontent, moins de deux mois après les élections municipales.
D’entrée de jeu, Barre, costume rayé, cravate indéfinissable, essaie de prendre le dessus en posant à Mitterrand, en professeur d’université sûr de son questionnement : « Que me proposez-vous ? »
Mitterrand, qui ne veut pas se laisser enfermer dans la seule défense du programme commun, refuse de le suivre sur ce terrain et commence d’énumérer les échecs du gouvernement Barre et du gouvernement Chirac qui l’a précédé.
« Vous avez stoppé la chute, convient-il, mais vous n’avez pas remonté la pente. Vous avez placé l’économie française en
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