Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
mis en avant au cours du débat avec Barre, qui n’en attendait pas tant. « Aucune importance, dit-il, il n’est pas question qu’ils fassent scission. Au contraire, les trois quarts des maires issus du Ceres et récemment élus ont déjà signé le pacte majoritaire. »
Au demeurant, François Mitterrand me rappelle qu’au Portugal une tendance de gauche du socialisme portugais avait fait scission quatre mois avant les élections. Ce qui n’a pas empêché Mario Soares de les gagner.
Je ne cache pas à Mitterrand à quel point j’avais trouvé détestable le congrès de Pau avec ses réunions séparées, ses tendances, ses courants et ses contre-courants. Si le prochain congrès de Nantes est de même facture, à la veille des élections législatives, ce sera mortel pour lui.
17 mai
Réunion au sommet des partis de gauche au siège du mouvement radical de gauche. La rencontre a lieu à huis clos, j’ai à peine le temps de voir qui pénètre dans la salle de réunion. Je vois Marchais, Mitterrand, Fabre, chacun conduisant sa petite troupe de fidèles. Il me faudra attendre plus de quatre heures pour avoir un petit début d’information sur ce qui s’y est passé.
C’est Robert Fabre qui a ouvert le feu ; Georges Marchais a parlé après lui, déclarant que le programme commun est bon, qu’il le reste, mais qu’il faut évidemment tenir compte de ce qui s’est passé depuis son élaboration, il y a cinq ans. François Mitterrand a insisté sur la volonté socialiste de ne pas s’éloigner d’un pouce du texte signé en 1972. Une mise à jour, oui, a-t-il concédé, mais pas davantage. Il ne veut pas entendre parler d’une renégociation. Il insiste : « Il ne faut ni le restreindre, ni l’élargir. »
Georges Marchais acquiesce, mais ajoute qu’il y a tout de même des problèmes nouveaux qu’il faut prendre en considération : la sidérurgie, par exemple.
Suit un long débat entre les participants, qui fournit à Marchais l’occasion d’une nouvelle profession de foi : le Parti communiste ne donnera pas de chèque en blanc au gouvernement de la gauche, il veut gagner la bataille électorale, certes, mais il veut sa place au gouvernement et entend que le programme soit le plus précis possible. Mitterrand, tout en lui donnant raison, nuance sa tirade : pour réussir, la gauche doit proposer des « mesures sérieuses et raisonnables ».
Au bout de quatre heures et demie, la décision est prise de créer un groupe de travail de quinze personnes – cinq par mouvement – en charge de la totalité de l’actualisation du programme commun, plus particulièrement du champ d’application des nationalisations, de l’Europe, de la force de frappe et de la politique nucléaire de la France.
Le seul à avoir abordé l’affaire du chiffrage du programme commun, rendu public sans concertation par le PC, qui avait valu à François Mitterrand d’être houspillé par Raymond Barre la semaine dernière, est Robert Fabre. « Nous estimons, a-t-il souligné, que le PC avait le droit de faire des estimations chiffrées par ses propres experts. Mais, en les livrant prématurément et sans débat préalable avec ses partenaires, il n’a pas servi ce qu’il appelle lui-même la qualité de l’union. »
Il a raison, mais le vrai problème est beaucoup plus large : il faut bien aujourd’hui, surtout dans la perspective des élections prochaines, « mettre à jour » – c’est l’expression utilisée par tous les participants au sommet de la gauche – le programme commun. Cette remise à jour, précisément, pose des problèmes à Mitterrand : depuis des mois, il est réticent à l’idée de toucher à la bible du programme commun de peur de détricoter l’ensemble du texte et de subir, concession après concession, la loi des communistes. Il sait bien, sur sa droite, les radicaux prêts à laisser tomber le processus. Leur défection ramènerait les socialistes à un tête-à-tête avec les communistes, dont ils ne veulent pas.
18 et 19 mai
Congrès des Républicains indépendants à Fréjus, la ville dont le jeune et nouveau maire est depuis quelques semaines un giscardien 14 .
La météo est mauvaise : le congrès attire seulement une petite foule de cadres, d’élus, de militants – dans la mesure où les Républicains indépendants en comptent en leur sein – sur les marches des fabuleuses arènes de la petite ville méridionale, dont les gradins se
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