Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
hibernation ! »
Contre-attaque de Barre, madré, à l’aise, beaucoup plus que je ne le pensais, à la télévision, sur le programme commun : « Existe-t-il toujours ? » fait-il mine de demander en s’abritant derrière le fait que le Parti communiste vient de publier unilatéralement, sans même chercher à se mettre d’accord avec ses partenaires socialistes, ce qu’il a appelé le « chiffrage » du programme commun.
Mitterrand s’emberlificote un peu en exposant trop longuement la position des uns et des autres, à l’intérieur de la gauche, sur les nationalisations, et en s’étendant inutilement, me semble-t-il, sur les nuances entre le Ceres, qui souhaite davantage de nationalisations, et le Parti radical, qui en désire le moins possible.
À partir de là, il me semble que c’est Barre qui mène le débat : il veut amener les téléspectateurs à la conclusion que la France de Mitterrand, celle du programme commun, serait une démocratie populaire. Mitterrand rétorque que le chiffrage établi par le PC n’est pas le sien. Barre insiste : comment Mitterrand pourrait-il appliquer le programme commun si le PC n’est pas d’accord avec lui ?
« C’est mon affaire », plaide Mitterrand sans vraiment convaincre.
Suit un échange de questions économiques posées par le professeur Barre à l’élève Mitterrand, qui répond sur un plan politique.
Ce n’est que dans la conclusion, il me semble – à moins qu’il ne soit déjà bien tard ? –, que Mitterrand reprend du poil de la bête. « Votre politique est usée, dit-il, la mienne a l’inconvénient de n’être pas encore ! » – tandis que Barre dénonce chez son adversaire « la gigantesque improvisation de [ses] théories générales ».
Résultat final : Mitterrand n’a pas une seule fois parlé de la division de la majorité, et Raymond Barre, en fin d’émission, ne s’est pas gêné pour ironiser sur celle de l’opposition. « Vous vous réclamez, a-t-il dit, d’une unité qui n’existe pas. » « Nous ferons la preuve qu’elle existe », a plaidé sur un mode défensif Mitterrand.
16 mai
Vu Mitterrand. Fatigué, il l’est sûrement. Mais ce ne sont pas les premières atteintes (ou les dernières ?) du cancer dont on assure périodiquement qu’il est atteint. La réalité est qu’il a commis une grande erreur dont il me jure qu’il ne la renouvellera pas : il s’est éreinté pendant la campagne municipale à courir d’un bout à l’autre de la France ; il ne s’est pas accordé le repos nécessaire avant une émission aussi difficile à faire pour lui ; et il est arrivé épuisé sur le plateau du studio 101, à la maison de la Radio, où avait lieu le débat en direct.
Son face à face à la télévision, et surtout les réactions de la presse qui l’ont suivi, l’ont véritablement irrité. Il considère que, à partir de maintenant, il peut être descendu à bout portant dès qu’il passe àportée de fusil de la majorité. Donc il me dit s’être limité volontairement au domaine économique.
« Je ne suis pas crédible, me dit-il, lorsque je parle des problèmes de la majorité. Je ne peux que ressouder, même arbitrairement, Barre et Chirac. Je ne voulais pas donner à Barre cette occasion-là. »
Il répond, sans que je la formule, à une question sur son manque d’agressivité. Il s’explique : « L’agressivité n’est pas payante pour moi. Je suis l’homme qui fera peut-être entrer les communistes au gouvernement. Je ne peux pas me payer le luxe, en plus, de faire peur. Que j’aie été un peu gêné par mon état de fatigue, c’est certain, mais je ne suis absolument pas sûr d’avoir été écrasé ! Les sondages réalisés dans la foulée de l’émission ne me paraissent pas convaincants. De toute façon, une campagne ne se joue pas sur deux heures d’émission, elle se prépare sur une longue distance, et sur la longue distance, je ne suis pas sûr d’avoir perdu ! »
En revanche, il n’a pas été gêné, dit-il, par les questions de Barre sur le chiffrage du programme commun. Il s’attend à ce que, comme d’habitude, les communistes durcissent le ton à la veille d’une échéance importante, comme cela fut le cas avant les municipales, les cantonales, ou comme à l’automne 1974. Il s’y résigne, trouvant que c’est devenu presque un jeu entre les communistes et lui.
Reste le problème de ce sacré Ceres qu’il a lui-même
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