Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
queseule une action d’un tout autre souffle politique pourrait nous conduire à vous accorder. »
Si c’est cela, un soutien, ça me rappelle la phrase fameuse de Gide, je crois, dans son Journal : « Dieu me garde de mes amis ! Mes ennemis, je m’en charge ! »
Roger Chinaud, au nom des Républicains indépendants, sans dénoncer le soutien mollasson du RPR, ne monnaie pas son adhésion au gouvernement et se contente d’exhorter le Premier ministre à ne pas « se laisser décourager par le trop souvent étroit milieu politique ».
En une phrase, pourtant, au moment de redescendre de la tribune, il renvoie dos à dos la tiédeur de Labbé et les effets de tribune de Mitterrand : il faut se défier, dit-il, « de la forme perverse du rêve qu’est l’illusion, de la forme perverse de l’action qu’est l’agitation ». Pas mal dit.
Puis vient Michel Crépeau pour les radicaux tendance « union de la gauche », et enfin Michel Debré que je sens pour la première fois depuis longtemps plutôt confiant en Raymond Barre, dont il approuve la volonté de lutte contre l’inflation, de rigueur financière et d’encouragement à l’investissement. Mais il est agacé – et il le dit – par ce qu’on pourrait appeler l’« apolitisme » de Barre. Debré n’a pas employé le mot, mais je sais qu’il désapprouve ce parti pris sans cesse affiché par le Premier ministre, qui se défend de vouloir « faire de la politique ». « Pas de politique, martèle Debré, pas de nation, pas de démocratie, pas de gouvernement ! »
L’imprécation a irrité Barre, je l’ai bien observé pendant que Debré parlait. D’ailleurs, c’est d’abord à lui qu’il s’adresse lorsqu’il reprend la parole pour répondre aux différents orateurs, le lendemain 28 avril.
Pour montrer à Debré qu’il fait de la politique, il admoneste les partisans du programme commun, qui désorganiserait l’économie française et compromettrait l’équilibre de la France entre les grandes puissances.
Il fait de la politique encore – et il l’assume – lorsqu’il passe un savon à Claude Labbé, qu’il accuse d’avoir tenu à la tribune des propos très raides à l’égard du gouvernement, propos qu’il n’avait pas osé tenir à Raymond Barre lui-même en tête à tête. Il faudra que je retrouve les termes exacts, choisis avec soin par Barre, pour accuser en quelque sorte Labbé de lâcheté.
Si je m’arrête là-dessus, c’est qu’il me semble voir apparaître, derrière cette passe d’armes, un Barre beaucoup plus pugnace, beaucoupplus agressif, plus politique, en un mot, que je ne le pensais. À mon avis, Claude Labbé n’y reviendra pas deux fois.
D’autant que, si j’ai bien entendu les termes employés par le Premier ministre en attaquant bille en tête le président du groupe gaulliste, lequel ne s’attendait pas à une telle combativité, Barre, avec ses airs de grand naïf en politique, a dit en substance au RPR : Ne me monnayez pas votre confiance : ou vous votez, ou vous ne votez pas ; si vous votez, vous votez pour un ensemble, politique, économique, technique ; si vous ne votez pas, c’est à vos risques et périls ! Bref, il a mis le RPR au pied du mur en refusant une « confiance en tranches ». En somme, il leur a dit finalement : « Foutez-moi en l’air, ou alors foutez-moi la paix ! »
La séance s’interrompt après la réponse du Premier ministre. Je redescends de la tribune de la presse et, après quelques minutes, me fais communiquer le texte exact de ce qu’a déclaré le Premier ministre à Labbé. Je le retranscris ici : « Je voudrais dire à M. Labbé que je n’ai pas reconnu dans son discours l’esprit qui avait présidé à nos conversations confiantes, ni le style qui était jusque-là le sien... Vous comprendrez que le gouvernement ne peut accepter une telle attitude de la part de la formation la plus importante de la majorité. »
À ce moment, Labbé et les députés RPR ont commencé de manifester une certaine nervosité. Cela n’a pas empêché Raymond Barre de continuer et même d’en rajouter :
« Comment voulez-vous que le gouvernement puisse conduire les affaires si la confiance lui est d’avance découpée en rondelles ? La confiance ne se marchande pas, elle se donne ou elle se refuse. »
Dans la salle des Pas-Perdus, aux Quatre-Colonnes, pendant l’interruption de séance provoquée par les parlementaires
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