Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
Giscard à Marly, chez Michel Debré, à Montlouis, dans cette maison familiale proche de la Loire, qui lui ressemble : une maison habitée, inspirée, où aucun décorateur à la mode n’a jamais mis le pied, où les meubles sont vrais, les pièces agréables, avec des balançoires pour enfants dans le jardin, et un petit bureau ouvert, lumineux, où il se rend tous les matins pour lire et travailler.
La dernière fois que je l’ai vu, à la fin juillet, il m’avait longtemps raconté la maladie de Pompidou, comment il avait été mis au courant, dès l’automne 1973, par son père, le professeur Robert Debré. Puis comment il avait annoncé la nouvelle à Couve, à Guichard, à Chaban et à Messmer. Messmer le savait déjà, Guichard ne l’a pas cru, Couve est resté sceptique, et Chaban n’a rien fait.
A-t-il pensé, lui, Michel Debré, un instant à se présenter à la présidence ? Il dit longuement sa conviction d’avoir été trop impopulaire pour y songer ne serait-ce qu’un instant.
Aujourd’hui, dans son jardin qui domine la Loire, il me parle de la France, de la nation, de la région, du pays, de De Gaulle, de l’effort encore, de l’effort nécessaire.
Je m’étonne moi-même : rien de ce qu’il dit ne me paraît étranger. Rarement homme politique aura été aussi caricaturé que lui.
Il me dit aussi, confidence plus personnelle, à quel point toute sa vie politique s’est jouée lors de cette élection de 1962 où il a été battu aux législatives, ici, par une coalition gauche-extrême droite-viticulteurs mécontents. « Il y a des moments irréversibles. Il y a des jours où tout se joue. Ce fut le cas pour moi, ce jour-là. Si je n’avais pas été battu, de Gaulle m’aurait rappelé à Matignon. Pompidou n’était Premier ministre que depuis quelques mois, il n’avait pas encore réussi, il n’avait pas encore d’existence politique. Après mon échec – et quel échec ! –, il n’était plus question de me rappeler. »
À retenir de ce qu’il me dit, pendant que ma fille joue sur la balançoire des petits-enfants Debré, sur sa conception de la politique : la nécessité de montrer la voie lorsqu’on est à la tête de l’État. « Il faut dire : voilà quel est mon avis, voilà ce que je crois qu’il faut faire. Si les Français vous suivent, tant mieux. Si les Français n’en veulent pas, alors il faut se retirer. C’est cela, la démocratie, et pas laisser le peuple choisir, et courir derrière lui ! »
Bonheur d’entendre parler d’État et de démocratie dans la douceur d’un jour d’été en Touraine !
4 septembre
« Je ne comprends pas, nous a dit Giscard avant-hier, pourquoi Mitterrand ne dit pas jusqu’où il est disposé à accepter les oukases des communistes. »
Curieux. Par un hasard inouï, hier, deux jours exactement après que Giscard a formulé cette interrogation, Mitterrand révèle sur France-Inter l’étendue de ses divergences avec le PC.
12 septembre
Raymond Barre a dîné avec les giscardiens. Alain Griotteray a fait des confidences à JT, qui m’en fait à son tour. Barre en veut beaucoup à Jean-Jacques Servan-Schreiber. À la fin d’une entrevue qu’il avait eue avec lui, J-J S-S lui a demandé ce qu’il devait dire à la presse qui l’attendait dans la cour de Matignon.
« Des journalistes m’attendent à la sortie. Vous êtes d’accord, je ne leur parle pas des élections ?
– Non, dit Barre, vous n’en parlez pas. »
Là-dessus, J-J S-S sort de son bureau et lâche sa bombe : il parle du « complot » centro-giscardien-radical contre le RPR.
Bien sûr, Barre, depuis, ne décolère pas.
Pour le reste, il ne leur a pas paru préoccupé de politique intérieure immédiate, mais bien plutôt de sa propre image après les élections de 1978.
Cette inquiétude nouvelle du Premier ministre est d’ailleurs confirmée par une conversation que j’ai eue avec Michel Jobert :
« La dernière fois que je l’avais vu, me dit-il, en juillet dernier, ilm’avait paru tout à fait sûr de la réussite de son plan. Il m’avait fait un vrai cours sur le plan Barre et son succès assuré. Et puis, cette semaine, je l’ai trouvé beaucoup moins guilleret et, au contraire, tout à fait préoccupé par le chômage, la faible activité des entreprises, les difficultés de la lutte contre l’inflation. Donc, presque désireux de se garder de la chose publique jusqu’en décembre. »
Jobert me
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