Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
de francs en 1982. »
Je comprends très bien le problème de Mitterrand, aujourd’hui : plus les sondages accordent à la gauche des chances de gagner l’année prochaine, plus il doit veiller à rassurer les Français : la victoire de la gauche, ce ne sera pas le Grand Soir, mais le changement dans la continuité de la V e République. D’où ce passage, essentiel, de sa conférence de presse, qui révèle cette préoccupation permanente chez Mitterrand depuis 1968 : il a failli être balayé politiquement parce que le désordre gagnait la rue. Il ne veut pas que pareille chose se reproduise.
« Si la gauche l’emporte en 1978 – par parenthèse, je constate que, lorsque Giscard, Barre, Chirac annoncent comme certaine la victoire de la droite, tout le monde trouve cela naturel ; quand moi, je me hasarde à envisager le succès de la gauche, on me dit que je vends la peau de l’ours ; enfin, passons ! –, si donc la gauche l’emporte en 1978, on me demande si M. Giscard d’Estaing pourra rester. C’est M. Giscard d’Estaing qui vous répondra, d’ailleurs il vous a répondu : il lui appartiendra d’appeler un représentant de la nouvelle majorité, et le devoir de celui-ci sera de faire appliquer le programme sur lequel il a été élu. C’est à ce moment-là que le problème se posera. Je ne suis pas devin, je ne dissimule pas la difficulté. Mais ce ne sera pasune crise de régime, ce ne sera pas une secousse supplémentaire, nous serons loyaux : nous appliquerons le programme commun. Si c’est trop pour le président de la République, il a la capacité de le faire connaître au pays. »
On comprend bien, à ce propos, pourquoi Chirac, comme il l’a fait l’autre jour au déjeuner du Point , condamne la volonté de Giscard, rendue publique par lui à plusieurs reprises, de rester à l’Élysée en cas de victoire de la gauche. Ce faisant, il dédramatise l’événement et empêche la majorité de disserter sur une éventuelle crise de régime. Impossible d’agiter le spectre de son départ. De toute manière, cette perspective serait-elle de nature à faire peur aux Français ? Rien de moins certain !
Pour finir, la question, qui relève de la figure imposée, sur les communistes : « Les communistes sont-ils toujours décidés à gouverner ? » Il répond que rien ne permet d’affirmer que le PC ne souhaite pas la victoire de la gauche et sa participation au gouvernement : « Je discute et je travaille avec le Parti communiste depuis 1965. Le PC est un parti majeur, et, quelque critique qu’on puisse lui faire, c’est un parti responsable. Comment supposer qu’il rechercherait un objectif contraire à celui qu’il affirme et pour lequel il travaille jour après jour ? »
1 er septembre
La rentrée, pour moi, c’est, dès le premier mercredi, une invitation présidentielle à Marly, où tout notre petit groupe de journalistes est convié à dîner. À la fois mondain – c’est son côté Gotha et blasons – et politique, Giscard nous livre, pour nous remettre dans le bain, en quelque sorte, ses réflexions du moment :
1. Si la gauche arrive au pouvoir en mars prochain, cela ne durera pas plus d’un an. Dans les premiers jours, la gauche sera obligée de prendre un certain nombre de décisions démagogiques. Puis il y aura obligatoirement un retour de bâton. Celui-là même que lui, Giscard, attendra de pied ferme pour reprendre la main.
2. Il est amer sur le Parti socialiste : « Je ne comprends pas, dit-il, comment François Mitterrand, qui a montré que le PS était le premier parti de France, n’en profite pas, aujourd’hui, pour prendre ses distances à l’égard du PC. Un exemple : la représentation proportionnelle. Si le PS l’avait votée, la loi serait déjà adoptée, et les socialistes pourraient prendre leurs distances vis-à-vis du Parti communiste ! »
Je lui demande : « Est-ce pour cette raison que vous y avez renoncé ? »
Sans dire mot, il a un geste d’acquiescement.
3. Les communistes : il dit, en se tordant littéralement de rire, que Leonid Brejnev lui a parlé de Marchais en des termes épouvantables.
4. La majorité. Il n’a de cesse de démontrer, chiffres à l’appui, que le RPR perdra 50 sièges. Mais si le Parti républicain ne les récupère pas, ces 50 sièges, pour lui, c’est la culotte !
Je reviens sur la journée que j’ai passée, fin août, juste avant l’invitation de
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