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Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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a fait part du nouveau coup de Prague. Ni évidemment celui de Waldeck Rochet, qui avait préféré rester en France pour pouvoir être tenu constamment au courant de la situation internationale.
    On ne se rend pas compte à quel point, pour les dirigeants français, c’est une insupportable souffrance que de devoir condamner Moscou. Ils ne l’ont jamais fait, ni à la veille de la Seconde Guerre mondiale, en 1939, ni en 1947 au début de la guerre froide, ni en 1956 lors de l’invasion de la Hongrie. Jusqu’à présent, le seul terrain sur lequel les intellectuels communistes français avaient osé défier les Russes, c’est dans le domaine de l’art : un ouvrage consacré à Picasso et à Kafka, préfacé par l’orthodoxe Louis Aragon, a été interdit à Moscou. La première – timide – demande d’explication remonte à 1964, après la condamnation de Khrouchtchev par ses successeurs soviétiques.
    Waldeck a fait accepter, ce 22 août, par le comité central précipitamment réuni, une résolution où il est dit que « chaque parti doit déterminer sa politique, ses formes d’action, ses méthodes de lutte en toute indépendance ».
    On voit bien pourtant la difficulté : ou bien le PC infléchit sa position en faveur de l’URSS et il perd l’appui de la gauche non communiste : il retournera alors dans un ghetto dont il cherche à s’évader depuis 1965 ; ou bien il rompt les liens avec Moscou et il risque tout simplement de ne plus exister.
    Quel été !

    23 août
    Pierre Desgraupes et Pierre Dumayet, qui étaient avec Claude Tchou 34 et moi dans le Midi et qui en sont revenus, sont en rupture de « Cinq colonnes » depuis le mois de mai, puisqu’on leur a supprimé leur émission ; ils sont en manque. Ils pensent avec tristesse à l’émission qu’ils auraient faite s’ils n’avaient pas été chassés de l’ORTF. L’idée nous vient donc de demander à leur équipe de journalistes d’écrire, durant ces deux jours, quelques gros articles d’un ouvrage collectif dont je trouve le titre : L’Été des tanks , que Claude Tchou dit pouvoir éditer en moins d’une semaine. J’ai rédigé un énorme article sur le mouvement communiste international,cependant que Georges Walter, Jean-Pierre Farkas et d’autres envoient leur copie pendant le week-end : pendant toute la nuit du 24 au 25 août, les deux Pierre, sans Lazareff cette fois, corrigent, ajustent la copie avant de l’envoyer à l’imprimeur. Le livre – notre livre – sera en librairie dans moins d’une semaine !

    6 septembre
    Louis Aragon, le si orthodoxe Louis Aragon, avait signé, fin août, avec d’autres, un texte condamnant l’intervention soviétique. Avant-hier, il a écrit dans Les Lettres françaises , qu’il dirige : « Nous ne pouvons concevoir que le socialisme prenne un visage de contrainte militaire, de loi du plus fort, de censure d’étouffement [...]. Frères de Tchécoslovaquie, nous soutenons votre lutte ! »
    Bon nombre d’intellectuels français se marrent – il y en a à L’Express  – en lisant ces lignes, car cela fait des années qu’ils traînent Aragon dans la boue à cause de son alignement sur Moscou. Certains me citent son Ode à Staline , qui date de l’avant-guerre, certes, mais qui est gratinée 35 . Il n’empêche. La Pravda d’aujourd’hui englobe dans la même condamnation le poète de l’ Ode à Staline et la direction du PC français, qualifiée pour la première fois d’« inconséquente ».

    26 septembre
    Premier face-à-face télévisé de Couve de Murville. Extraordinairement ennuyeux : pas un mot plus haut que l’autre, pas la moindre rondeur. Une distinction distraite, une diction précieuse de diplomate, un art incroyable, qui prête à rire, de proférer des lieux communs. Il n’est pas antipathique, non, il est atypique. Il n’y a rien à en dire, sinon que c’est un gardien fidèle du temple gaulliste.
    Mitterrand est revenu à la mi-septembre de ses vacances à Hossegor. Je le rencontre chez lui, où il commence par me montrer les photos d’une ancienne bergerie qu’il veut acquérir, à moins qu’il ne l’ait déjà acquise, sur les bords d’un étang des Landes. Il ne me le cache pas : il en a assez, il se retire. « À quoi serviraient les vacances, me dit-il, sinon à tirer des traits ? »
    En réalité, ce qui l’a le plus atteint, ce ne sont pas seulement les événements de mai, mais surtout l’offensive

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