Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
vraiment l’air bouleversé par ce qu’il a vu en Union soviétique et par ce que Brejnev lui a dit. Reste à savoir si la position qu’il a longuement développée devant moi est partagée par la majorité des dirigeants français ou si Waldeck est sincère mais minoritaire.
30 juillet
Extraordinaire bloc-notes de François Mauriac dans Le Figaro . Les gaullistes ont refusé de laisser la présidence de la commission des finances à l’Assemblée à Valéry Giscard d’Estaing. Mauriac écrit – j’ai gardé l’article parce que je n’en croyais pas mes yeux – : « Que celui-ci [Giscard] paraisse au petit écran moulé dans un pull-over ou qu’il renonce au pull-over, ou qu’il s’adresse au peuple comme l’autre jour, assis familièrement sur un coin de table, nous le voyons, avec plaisir, sous notre nez, retoucher jour après jour le personnage du plus jeune ministre des Finances qu’il a été et du plus jeune président de la République qu’il sera, s’il plaît à Dieu et s’il n’y a pas d’accident de parcours. »
Telle est la prophétie de François Mauriac, qui continue ainsi son bloc-notes : « L’ambition, chacun a la sienne, proportionnée aux dons qui lui furent dévolus dès le départ. Celle de Valéry Giscard d’Estaing est à la mesure de tout ce dont il fut comblé en naissant, mais il reste l’admirable usage qu’il a su en faire. Il n’a plus désormais qu’à prendre conscience, en observant le destin d’un Clemenceau, d’un de Gaulle, et, tout près de lui, celui d’un Georges Pompidou, que l’homme d’État ne naît vraiment que lorsqu’un destin particulier se confond avec celui de la nation et qu’on ne peut plus les dissocier. »
Quel hymne à Valéry Giscard d’Estaing ! Je n’en reviens pas !
15 août
Je suis en vacances aux Issambres lorsque je me rappelle que Guy Mollet passe les siennes, comme chaque année, dans une maison réservée aux vieux travailleurs de la SFIO, à Cavalaire. Je lui téléphone, il m’invite à dîner. Nous avons donc débarqué, à deux, hier, dans la résidence modeste où il passe quelques jours avec sa femme,au milieu d’une sorte de colonie de vacances pour adultes. Inouï : il est là, en savates, avec un vieux gilet gris sur sa chemise à carreaux.
Le temps de dîner, et un jeu collectif commence : c’est le jeu connu de « Jacques a dit », qu’il arbitre en sortant du jeu ceux qui se trompent et ne font pas ce que Jacques a dit. Je suis en finale et gagne. Tout content, il nous amène un peu à l’écart des autres et se laisse interroger.
Il tient surtout à me parler du Parti communiste. Je lui dis que j’ai trouvé Waldeck Rochet très pessimiste sur le comportement des Soviétiques. Ça ne l’étonne pas du tout. Il pense qu’ils vont intervenir prochainement. Il en fait, lui, un test de la façon dont les dirigeants français réagiront à une éventuelle intervention. « Cela va montrer leur sincérité lorsqu’ils parlent de liberté, et plus précisément quand ils parlent de la liberté des voix de passage au socialisme. » Autrement dit : s’ils ne condamnent pas les Russes, on saura ce qu’il nous reste à faire, nous, socialistes français : il nous restera à rompre avec eux.
22 août
Les chars soviétiques sont entrés en Tchécoslovaquie. Moi, je rentre à Paris par le premier avion, laissant sur place famille et enfant.
Vingt-neuf ans jour pour jour après la signature du pacte germano-soviétique, le 21 août 1939, douze ans après l’écrasement de l’insurrection de Budapest, c’est la troisième crise majeure qu’affronte le Parti communiste français, qui fut longtemps le premier parti de France et reste, derrière l’italien, le second PC du monde occidental.
Malgré les voyages de Waldeck Rochet à Moscou et à Prague en juillet dernier, les dirigeants du PC français donnent l’impression d’avoir été pris de court : Jeannette Vermeersch 32 était en vacances au bord de la mer Noire, Étienne Fajon 33 aussi ; Roland Leroy est depuis le 7 août quelque part en Bohême, on ne sait où, car il a l’habitude de faire du camping. (Curieux, par parenthèse, de voir que les dirigeants communistes français ne choisissent, depuis des années, que des villégiatures dans les pays de l’Est ou en Russie !) Ce n’était pas le cas de Robert Ballanger : le président du groupe parlementairecommuniste était en Corse lorsqu’un pêcheur lui
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