Cahiers secrets de la Ve République: 1965-1977
le seul depuis des années à être reçu chaque vendredi à l’Élysée par de Gaulle.
18 juillet
« Il faut que Mitterrand démissionne », me dit Gaston Defferre en parlant de la présidence de la FGDS. Qui serait président, dans ce cas ? Je lui pose la question. Il reste allusif. En réalité, il pense que la Fédération de la gauche n’a plus de sens, qu’elle a volé en éclats. Le seul mouvement qui reste à gauche, pour lui, c’est la SFIO, qui a la vie dure. Le centre aurait gagné les élections qu’il plaiderait aujourd’hui pour l’unité des socialistes avec Lecanuet et Duhamel. Manque de chance, le centre aussi a été écrasé !
22 juillet
Année terrible, décidément, pour la gauche ! Il ne manquait plus que cela : voici que les Soviétiques annoncent leur intention de mettre de l’ordre en Tchécoslovaquie 31 . Pour la première fois, les communistes français ont protesté : Waldeck Rochet est allé tout seul, sans escorte, à Moscou, les 15 et 16 ; il a désapprouvé tout net la politique soviétique à l’égard de la Tchécoslovaquie. Surtout, il a condamné la lettre de menace adressée par les cinq partis frères aux dirigeants de Prague.
C’est un événement considérable dans l’histoire du Parti communiste français que de le voir passer dans le camp de la contestation à Moscou. Quand on imagine Waldeck Rochet, avec son crâne chauve et son petit chapeau, son parler rocailleux et son côté paysan français, en train de faire savoir aux dirigeants russes qu’il n’est pas d’accord, on croit rêver !
Qui plus est, il est allé à Prague quelques jours plus tard, le 18 ou le 19, pour manifester sa solidarité avec les Tchèques.
En réalité, il aurait dû y aller en mai, après que, le 18 avril, il a fait applaudir par les communistes français, à l’occasion d’un comité central, l’émancipation tchèque. En mai, il n’a bien sûr pas pu quitter la France, et il avait donc remis son voyage à juillet.
Les Russes s’attendaient à la désapprobation des communistes italiens, pas à celle des Français. Brejnev et Souslov ont dû en être comme deux ronds de flan. Cela ne les a pas empêchés d’opposer un double refus à Waldeck Rochet : ils ont refusé de garder pour eux la lettre des cinq partis frères, et ils ont refusé de négocier avec les dirigeants tchèques.
En guise de riposte, Waldeck Rochet a demandé la convocation d’urgence d’une conférence des partis européens, qu’ont acceptée en quarante-huit heures quinze partis, dont l’italien, l’autrichien et le suisse. Les Russes ont calé devant la perspective d’une réunion avec les partis européens et ont fini par accepter d’aller à Prague pour parler à tout le moins avec les dirigeants tchèques.
Une chose encore : avant de partir, Waldeck Rochet a fait savoir aux Russes que le PC français condamnerait l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie si elle devait avoir lieu. Comment je le sais ? Par Waldeck, qui m’a reçue, entouré de Georges Marchais et d’un de ses secrétaires que je ne connais pas. Et aussi par Roland Leroy, qui m’a confirmé ses propos et qui a décidé, pour braver le sort, d’aller lui-même passer ses vacances en Tchécoslovaquie.
Waldeck m’a dit en outre qu’il avait trouvé les Soviétiques « incompréhensifs » (cela a été son mot). Il les a trouvés davantage soucieux de conserver leur contrôle sur Prague et l’Europe centrale que leur influence sur les partis communistes des pays occidentaux.
Le problème des communistes français, c’est que nul ne les croit lorsqu’ils disent qu’ils veulent prendre leurs distances vis-à-vis de Moscou, qu’ils veulent exister dans le mouvement communiste international sans être inféodés. On pourrait croire qu’ils prennent cette position uniquement parce qu’ils sentent que l’alliance avec le PS passe par la condamnation de l’intervention éventuelle des Russes en Tchécoslovaquie. D’ailleurs, c’est ce qu’a dit Mitterrand à ses copains conventionnels : « Si le printemps de Prague devait s’achever à l’été, la gauche reculerait plus gravement qu’après les élections de juin. » Il a même ajouté, selon Dayan : « Cela mettrait un terme à l’expérience historique d’unité avec le Parti communiste poursuivie depuis 1965. »
Je ne pense pourtant pas que ce soit là leur seule motivation. Waldeck Rochet est un homme de bonne foi. Il a
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