Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
poursuive son aventure politique personnelle. Mais voilà : la baptiser comme étant gaulliste, je trouve cela scandaleux. Et, aujourd'hui, j'ai l'intention de continuer à dire ce que je pense. J'en suis même à envisager de quitter le RPR ! »
Il est certain que, de l'intérieur du RPR tel qu'il fonctionne aujourd'hui autour de Jacques Chirac, personne ne peut faire bouger les choses.
Toujours aussi aigu, aussi fin analyste que son apparence est lourde, Guichard va plus loin : « C'est le couple maudit Chirac-Giscard qui menace les choses ! Quand Chirac dit, comme il le fait en ce moment : Giscard sera battu, il dit en réalité : je le ferai battre. Il finira par le faire, tout le monde le sait ! C'est lamentable, les deux protagonistes devraient se rendre compte de ce qu'ils sont tous deux engagés dans une impasse. Jacques Chirac a besoin de la majorité pour imposer une partie des idées que le RPR défend, et Giscard en a besoin pour être réélu. »
Voilà les choses dites pour la première fois.
Et puis cette phrase au moment de se quitter : « Toute tragédie commence quand les héros, emportés par leurs passions, deviennent aveugles et sourds. »
Je résume, avant de partir pour le congrès socialiste à Metz, la façon dont la majorité sort de cette semaine, commencée samedi dernier par le meeting de Chirac à Paris et terminée par une sortie en forme de boutade du président de la République aux présidents des groupes parlementaires de la majorité (« Je sais bien, a-t-il lancé en plaisantant à Raymond Barre, que dire que vous êtes stipendié par les Anglo-Américains n'est pas une injure ! »), en passant par l'arme suprême sortie par Jacques Chirac le mercredi : le chef de l'État n'aura aucune chance d'être réélu en 1981 s'il ne l'écoute pas et s'il ne change pas de politique.
Formidable, de voir se défaire ainsi les choses, du côté du pouvoir, sans savoir où elles vont !
6-8 avril
Voici donc réuni le congrès de Metz, crucial, puisqu'il pose en réalité la question du sort de Mitterrand à la tête du PS, et, au-delà, de sa candidature à la présidentielle.
Lorsque j'arrive dans la salle, le 6 dans l'après-midi, Michel Rocard est en train de parler. François Mitterrand a parlé avant lui pour ouvrir les travaux, comme il sied à un premier secrétaire. Il a prononcé – mon camarade Paul Guilbert me le rapporte – cette phrase sibylline : « Qu'on ne fasse pas semblant de parvenir à des actes durables qui ne dureront que huit jours ! »
Ce qui, traduit, signifie qu'il ne se contentera pas de recoller les morceaux, mais qu'il ira jusqu'au bout pour crever l'abcès.
Je trouve étonnant que Rocard parle ainsi juste après Mitterrand, en début de congrès, la veille au soir ayant été consacrée aux préliminaires. Pourquoi si tôt ? Il aurait pu faire donner ses lieutenants, se réserver pour le samedi au lieu d'intervenir dans la discrétion, la plupart des journalistes et des congressistes n'étant pas encore là ! Enfin, c'est la stratégie qu'il a choisie. Ce n'est pas à moi d'en décider.
Costume bleu, badge rose à la boutonnière, comme l'œillet de Mario Soares 21 , il énumère les deux problèmes, essentiels selon lui, du socialisme, ces deux problèmes qui font clivage au sein du PS. D'abord le rôle de l'État : un État qui intervient sur tout et partout, alors que, répète Rocard, « à l'évidence, les sociétés humaines ont besoin de différents niveaux de décision ». Deuxième problème-clef, à ses yeux : celui de la crise de la pensée économique. Comme c'est le fond de la pensée de Rocard, et aussi la divergence de fond qui existe au sein du PS actuel, il passe un long moment à s'expliquer :
« À cette crise, avons-nous, nous, socialistes, une réponse ? En êtes-vous sûrs, camarades ? Le PS a toujours eu une pensée raffinée sur la distribution de la richesse, mais pas sur la production de cette richesse. Une formule comme : “La propriété c'est le pouvoir” ne nous éclaire en rien sur notre politique économique. Elle ne dit rien de la manière de se servir du pouvoir, une fois qu'on s'est servi de l'appropriation pour le prendre.
« Il y a plus grave », poursuit-il dans le silence observé maintenant par les congressistes qui voient bien que tout l'affrontement entre les partisans de Mitterrand et ceux de Rocard tourne précisément autour des questions posées par Rocard. « La
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