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Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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pensée libérale est en crise, mais la pensée socialiste l'est aussi, parce qu'elle n'ose pas assumer l'exigence inverse : reconnaître que l'acte de produire a besoin de motivations autres que la contrainte. Une planification centralisée et rigide ne saurait nous suffire. »
    Je le trouve très clair, pour une fois, y compris dans la grande fresque qu'il brosse par la suite de l'histoire du socialisme français et de la nécessité, pour les socialistes, de « récuser le léninisme et d'interroger Marx sur les rapports entre le marxisme et les libertés ».
    Après les grandes interrogations sur les voies d'un socialisme moderne, le voici qui passe en quelques secondes à la cuisine interne du Parti. Surprise pour moi, puisque je croyais avoir compris qu'il ne voulait pas de synthèse avec la motion déposée par Mitterrand : il l'accepte, au contraire. Les rocardiens accepteront de discuter sur la motion du premier secrétaire : ils déposeront, Rocard l'annonce, des amendements « dans la clarté, comme vous le souhaitez », dit-il en s'adressant à François Mitterrand. Il appelle donc à la synthèse la plus large, tout en envisageant le cas où les deux courants ne tomberaient pas d'accord : dans ce cas, le courant Rocard quitterait le secrétariat du Parti.
    J'ai pris en notes avec soin toute son intervention, car je trouve qu'elle résume bien les choses : d'un côté, un socialisme moderne dont il s'efforce d'être le héraut ; de l'autre, Mitterrand et les mitterrandistes qui pensent qu'il faut d'abord prendre le pouvoir dans le cadre de l'union de la gauche, et que, pour le reste, on verra plus tard.
    On voit, dès ce soir, que le congrès de Metz tournera autour de cela.

    7 avril
    Il n'y aura donc pas de synthèse : Mitterrand n'en veut pas, décidé qu'il est à pousser les choses jusqu'au bout, à vider l'abcès avec Rocard. Il en est le plus souvent ainsi depuis le congrès de Pau, j'ai toujours vu Mitterrand aller au bord de la rupture : naguère avec Jean-Pierre Chevènement, par exemple, avec Rocard ou Mauroy aujourd'hui, en refusant l'unanimisme pour garder toute sa liberté de manœuvre. Il préférerait, j'en suis sûre, perdre plutôt que de se lier les mains. Il y a chez cet homme une violence qui me surprendra toujours !

    Pas de synthèse, donc, ce matin.
    Je persiste à trouver que c'est dommage, car, après tout, le dialogue Mitterrand-Rocard pourrait se révéler positif, pourquoi pas ? Tout le monde sait que le second a raison quand il parle de la planification, de la production, des nationalisations. Évidemment, pour Mitterrand qui veut arriver au pouvoir avec les communistes, Rocard est un extraordinaire empêcheur de tourner en rond.
    Un sondage du Nouvel Observateur de cette semaine traîne dans les travées du congrès et dans les tribunes de la presse : il souligne la baisse du nombre des Français qui veulent un gouvernement de gauche et la montée de ceux qui prônent une alliance entre Giscard et le PS ; ceux-ci étaient 11 % avant 1978, ils sont 30 % aujourd'hui.

    Le congrès reprend à midi par l'intervention de Laurent Fabius. Il est de façon évidente mandaté par François Mitterrand pour en imposer dans le domaine que ses adversaires ont eux-mêmes choisi : le domaine économique, et les ramener à plus de modestie. Il n'empêche : c'est lui qui n'a pas du tout l'air modeste.
    Je le connais mal, car il s'est davantage efforcé, depuis qu'il joue un rôle éminent auprès de François Mitterrand, à l'éloigner des journalistes plutôt qu'à s'en rapprocher lui-même. D'où une certaine distance qui s'est installée – qu'il a installée, plutôt – entre lui et moi, et ce, dès qu'il est devenu conseiller de Mitterrand.
    Il a à peine trente-trois ans, la barbe sombre, son rôle aujourd'hui est de contrer la position de Michel Rocard au nom des jeunes économistes qui soutiennent la motion Mitterrand. Très offensif sur l'analyse qu'a faite la veille Michel Rocard, il le fait avec une brutalité que je ne soupçonnais pas chez lui et sur un ton plus dur peut-être qu'il n'est nécessaire. Il a cette phrase magistrale que je relève au milieu de ses autres propos : « Entre le Plan et le marché, il y a nous, le socialisme ! »
    Il fallait l'inventer. Dans le congrès, cela passe très bien : les mitterrandistes sont tout heureux d'avoir, d'une phrase, rivé son clou au clan Rocard.

    Après lui, c'est Jean Le Garrec qui parle au nom de

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