Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
politique, elle est manifestement sans réponse. C'est une praticienne, pas une penseuse. Elle le reconnaît volontiers.
Je ne peux m'empêcher de penser qu'il s'en serait fallu d'un rien qu'elle soit aujourd'hui conseillère de VGE !
Rencontré Philippe Mestre à Matignon 19 (sans date précise, entre le 3 et le 6 avril ). Il est évident, me dit-il, que Raymond Barre s'est interrogé sur le contenu de l'intervention de Chirac, la veille au soir, dans l'émission « Cartes sur table 20 » que Mestre s'est fait au demeurant projeter le lendemain.
« Il a été frappé, comme tous les Français, par le menton, l'enflure, l'outrance ! Disons-le : ce discours de Jacques Chirac marque une étape dans la vie de la majorité ! »
Barre peut-il faire autrement que soutenir la liste UDF aux européennes conduite par Simone Veil ? « C'est tout de même une réaction curieuse, de la part de Chirac ! Il ne peut pas reprocher au Premier ministre de prendre une position sur la politique européenne. Il ne s'agit pas de soutenir une partie de la majorité contre l'autre. Mais il ne peut pas se limiter à la politique financière et économique en faisant mine de penser que l'élection européenne n'existe pas. Raymond Barre a toujours dit, en concertation avec le Président, qu'il appuierait en privé la campagne de Simone Veil. Il a passé six ans comme vice-président de la Commission européenne. L'obliger à ne plus avoir d'avis sur l'Europe à seule fin de ne pas troubler la bonne entente de la majorité, c'est raide ! »
Serait-il convenable, demande mon interlocuteur, qu'il s'abstienne de manifester ses convictions personnelles, qu'il dirige la politique et que, dans le même temps, il ne soutienne pas aux européennes ceux qui le soutiennent au gouvernement ?
Il est convaincu que, désormais, Jacques Chirac vise l'élection présidentielle de 1981. Son objectif est de dramatiser les choses, de dire que le pays est sans majorité. « Cet homme, dit-il avec quelque chose qui ressemble à de l'aversion, n'aime que les élections. Si on l'avait écouté en 1974, il aurait dissous l'Assemblée nationale ! Jacques Chirac ou la tentation du Crépuscule des dieux... »
Mestre a beau me dire que les députés RPR ne suivraient pas Chirac s'il voulait renverser la donne majoritaire, je ne vois pas comment on pourrait l'empêcher de se présenter, s'il le voulait.
4 avril
Les ministres RPR, auxquels s'était joint Olivier Guichard, ont tous déjeuné aujourd'hui chez Chaban-Delmas à l'Assemblée nationale. Tonalité générale plaintive : Chirac va trop loin, ils le disent depuis l'appel de Cochin ; mais il est impossible de s'opposer à lui, lorsqu'on appartient au RPR, parce que toute la machine est tenue par lui.
Quant à Giscard et Barre, ils ne font rien non plus pour apaiser les choses : Raymond Barre, selon eux, s'est déterminé trop tôt en faveur de la liste de Simone Veil aux européennes, et Giscard ne parvient toujours pas à parler aux gaullistes comme il devrait leur parler pour les convaincre de rester à ses côtés.
Je demande à Olivier Guichard, après son déjeuner, ce qu'il pense de tout cela – surtout de Jacques Chirac, de ses projets, de ses conseillers, du RPR.
Il a, je le sais, lui aussi, des relations difficiles avec Chirac. Il me rappelle la chronologie : il s'est opposé à lui pendant l'élection présidentielle de 1974, mais a accepté, lorsque Chirac a été nommé Premier ministre de Giscard, de ne pas couper l'UDR et de lui laisser en quelque sorte sa chance. À l'été 1976, lorsque Chirac a claqué la porte, Guichard a trouvé la « forme de sa démission déplaisante » : « D'autant, ajoute-t-il, mine de rien, qu'il avait torpillé mon action pendant sept mois.
« Je l'ai néanmoins soutenu aux municipales parisiennes, ainsi que tous les ministres RPR, tandis que Ponia soutenait d'Ornano. Giscard en a été furieux et j'ai fini par quitter le gouvernement. »
Après ? « Je n'ai pris position contre lui qu'une fois : après l'appel de Cochin, le 6 décembre dernier. Lorsque je suis intervenu au comité central sur les problèmes européens, un peu avant, mes propos ont été applaudis par la plupart des parlementaires et accueillis par des hurlements de rage par le service d'ordre. Alors, forcément, je me suis un peu lassé... »
Le fond de sa pensée, aujourd'hui, est clair : « Je ne vois pas d'inconvénient à ce que Jacques Chirac
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