Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
vit ce congrès, après l'échec aux législatives de l'année dernière, comme celui de sa dernière chance. Il ne la laissera pas échapper : on peut en être sûr !
Ce matin, pendant que j'attends le rapport de la commission des résolutions à laquelle les journalistes n'ont pas accès, et donc sans savoir ce qui s'y est passé, je me demande si vraiment il y a en France à l'heure actuelle deux socialismes. Mitterrand et Rocard incarnent-ils deux conceptions différentes du socialisme ? Y a-t-il vraiment deux voies et deux courants, deux sortes de moyens et deux finalités du socialisme français ?
Les hommes, les combattants – ils ont toute leur importance pendant ce congrès : François Mitterrand, faussement placide et vraiment prêt à mordre ; Michel Rocard, costume sombre, et, sur le visage, ce quelque chose d'éternellement jeune qui fait sa force ; Pierre Mauroy, enfin, débonnaire, un peu en retrait, malgré son coffre, derrière les deux autres.
Les idées – François Mitterrand en appelle au socialisme historique, à celui des grands ancêtres, Jaurès, Léon Blum surtout. Il est celui qui veut incarner les aspirations populaires, se nourrir d'elles, même si, dans sa vie politique, sous la IV e République par exemple, cela n'a pas toujours été le cas ; celui qui veut donner de l'espérance aux masses plutôt que des leçons de socialisme aux économistes ; le socialisme qu'il revendique, il l'a dit vendredi à l'ouverture du congrès, est celui qui « veut se défaire de toutes les formes d'exploitation », « qui ne rejette pas – ce sont ses mots – au-dessus de l'épaule le fardeau de l'Histoire ». Rocard, lui, estime que, loin de ressasser les slogans du socialisme du xix e siècle, de répéter mécaniquement les formules toutes faites d'un marxisme que le temps a usées, le PS doit trouver de nouveaux chemins ; les dogmes sont à revoir, les réponses que le socialisme français apporte au monde moderne sont inadaptées, la planification n'est pas le remède à tous les maux, la conquête de la propriété ne résout pas tout.
Suite un peu plus tard : la commission des résolutions revient en séance vers 12 h 45. Ils ont pris leur temps ! C'est Pierre Bérégovoy qui rapporte pour la motion de François Mitterrand et de ses amis. D'entrée de jeu, il rejette la responsabilité de la rupture sur Michel Rocard. Selon lui, les amendements proposés par Rocard portaient sur cinq points : le Plan et le marché, l'union de la gauche, la rigueur économique, la construction européenne et l'organisation du Parti. Je résume ici ce que dit Bérégovoy tandis qu'il parle :
Sur le Plan et le marché, les partisans de Mitterrand et ceux de Rocard auraient pu trouver un accord une fois rétabli le texte auquel tenaient les mitterrandistes : « Ce n'est pas le marché qui règle, etc. »
Sur l'union de la gauche, pas d'accord possible. On nous demandait, dit Béré, de négliger l'aspiration unitaire. « De ce point de vue, insiste-t-il, deux lignes ont été affirmées au cours de ce débat : la ligne d'Épinay, la nôtre, qui a une large approbation dans le Parti socialiste, approbation qui dépasse largement les 40 % de la motion A, et puis une autre ligne qui, sans abandonner les mots, modifie en réalité le contenu de l'union de la gauche. »
La commission des résolutions en était là, continue Bérégovoy, lorsqu'elle a été saisie d'un amendement n o 5, un texte commun Mauroy-Rocard. Berégovoy en fait, depuis la tribune, une lecture emphatique, comme pour le ridiculiser : « Nous l'avons, dit-il pudiquement, ressenti avec peine. Il nous a été indiqué qu'il serait enlevé. Il aurait mieux valu qu'il n'ait pas été discuté. » Bref, je n'ai pas noté le texte exact, mais l'essentiel est que Mitterrand et les siens n'en ont pas voulu, qu'ils ont rompu là-dessus, et que chacun des combattants demande maintenant qu'on vote sur son texte.
Lorsque Rocard lui répond, on entendrait une mouche voler. Pas d'accord politique, pas de synthèse : il le déplore. Y a-t-il deux lignes, d'une part celle d'Épinay, de l'autre la sienne ? Il le conteste : la ligne d'Épinay n'est pas, dit-il, la propriété de certains, elle est au Parti tout entier. « Seulement voilà : Épinay n'avait pas tout prévu. La logique commande d'admettre que nous avons le droit de nous interroger sur le fonctionnement normal d'un parti. » Il n'y avait pas deux
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