Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
la motion Mauroy. Curieuse impression : Mauroy, aujourd'hui, n'est pas dans la course. Sa motion, tout le monde s'en fiche un peu, à part lui évidemment. Le congrès s'annonce comme l'affrontement entre deux approches du socialisme, pour ne pas dire seulement entre deux hommes. N'étant pas combattant, Mauroy disparaît du ring.
Ce matin, en arrivant, j'ai rencontré Roger Fajardie qui m'a dit que son calcul des votes n'était pas modifié et que la motion Mauroy arrivait toujours en deuxième position.
L'intervention de Le Garrec me persuade qu'il n'en est rien et qu'au contraire, le risque est bien, à l'issue du congrès, que la plupart des mandats se concentrent sur le choix entre les deux textes principaux, celui de Mitterrand et celui de Rocard. Mauroy, dans ce cas, sera laminé.
Puis Chevènement parle. D'emblée il annonce son jeu : face à la politique néolibérale de Rocard, il a choisi son camp, celui de François Mitterrand. Je connais bien Chevènement, je sais à quel point, plus jeune, il a été séduit par Mitterrand, et à quel point, à un moment, il a séduit Mitterrand. Il s'est vu condamner, rejeter par ce dernier lors des deux précédents congrès, celui de Pau et celui de Nantes. Il est heureux, cela se voit, huit ans après Épinay, de se retrouver auprès de lui. L'idée qu'au surplus Mitterrand, face à Rocard et à Mauroy, ait besoin de lui ne lui cause aucun déplaisir.
Ses attaques se polarisent contre Michel Rocard. Il conteste qu'il existe à l'intérieur du Parti « deux cultures », comme le pense le député des Yvelines. Chevènement n'est pas un orateur de congrès : son propos est souvent trop complexe, ses incidentes trop nombreuses, ses parenthèses trop riches de sens. Aujourd'hui, pourtant, il fait mouche dans la salle où les partisans de Mitterrand ont rejoint ceux du Ceres.
De sa voix légèrement nasillarde, il martèle : « On ne peut pas dire que l'État est le grand méchant loup d'où nous vient tout le mal. Il n'est pas vrai que la rupture se réduise à un phénomène de mentalités, l'autogestion ne s'oppose pas à l'union, la décentralisation ne s'oppose pas à la conquête de l'État ! Michel Rocard reste trop prisonnier des schémas de l'idéologie dominante. Peut-être y a-t-il deux cultures au sein du PS, résume-t-il, une culture socialiste, qui intègre l'apport de Marx sans s'y réduire, et une autre qui s'empare des thèmes à la mode ! »
Voici, après lui, Mauroy qui fait un tabac en se déclarant favorable à la synthèse. Cela soulagerait bien tout le monde, mais il paraît d'emblée impossible de trouver un tour de passe-passe qui rapprocherait Mitterrand et Rocard, si habile soit-on. Ensuite, Mitterrand n'en veut à aucun prix. Ce que dit Pierre Mauroy séduit tout le monde, mais il n'est suivi par personne ou presque !
8 avril
C'est dimanche matin. Les congressistes ont peu dormi. Hier, juste avant que ne se réunisse la commission des résolutions, j'ai croisé Mitterrand dans une sorte de long couloir, à la sortie de la salle du congrès, hideuse, mauve et rouge. J'étais avec d'autres journalistes, il ne s'est pas arrêté, m'a fait un signe de la main qui signifiait – du moins l'ai-je interprété comme cela : je vais gagner, ils ne perdent rien pour attendre.
Georges Dayan, qui était à ses côtés, est venu vers moi. Je lui ai demandé si Mitterrand me faisait la tête. De fait, cela m'a frappée, voici quelques semaines que je le vois moins. Je n'ai pas besoin de chercher longtemps pourquoi : à vrai dire, depuis qu'en novembre dernier j'ai signé le papier du Point sur le « double déclin », celui de Marchais et le sien, je l'ai croisé sans jamais plus lui parler vraiment. Je m'en enquiers auprès de Dayan. Est-ce l'article qu'il a mal pris ? Dayan m'assure qu'il n'en est rien. Mais Mitterrand revient vers nous : « Votre copain Mauroy, me dit-il, il sera laminé ! » Et il gagne la sortie tandis que Georges Dayan, qui me dit au revoir aussi gentiment qu'il peut, allonge sa foulée pour le rejoindre.
Oui, quelle violence chez Mitterrand, quelle détermination ! Quel animal politique aussi, tout entier jeté dans la bagarre de ce congrès, comme si rien, en dehors de cela, ne lui importait plus, hormis la victoire, ici et tout de suite ! Certes, il peut parler de littérature, d'arbres et de fleurs, prendre du recul sur les choses et les gens ; mais il reste avant tout un homme de conquête. Il
Weitere Kostenlose Bücher