Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
opportun ! »
Le dénommé Bonnot, évidemment, est communiste.
Un autre : « Il y a eu un changement assez important, il me semble, depuis que nous avions pris cet engagement moral ! Je ne vous apprends rien !
– Honnêtement, conclut Mitterrand, il ne faut pas changer de position parce que les circonstances nationales ont changé. Et puis, il ne peut pas faire grand mal jusqu'au mois de mars ! »
Un peu plus tard, en voiture entre Nevers et Château-Chinon. De quoi parle-t-il au bout d'un quart d'heure de silence dans les tournants ? Des communistes, évidemment.
« Il y a sans doute eu entre eux une divergence tactique. Les uns voulaient faire échouer les pourparlers tout de suite, avant ce qu'ils appelaient la réactualisation du Programme commun. Les autres, et c'est sans doute la position de Marchais, voulaient nous faire céder, c'est-à-dire nous casser en nous faisant céder. C'est ce qui explique l'angoisse de Marchais à la fin de la négociation, lorsqu'il a vu que je ne cédais pas !
– Son angoisse ? Vous voulez dire à la télévision, lorsqu'il y a été interrogé ?
– Non, je n'ai pas regardé cette fameuse émission avec cet appel solennel qu'il m'a adressé publiquement : “Je m'adresse à François Mitterrand, etc.” Non, j'étais en train de dîner tranquillement chez moi, je ne regarde jamais la télévision à cette heure-là. Je fais allusion à son accablement, son angoisse quelques instants avant la rupture.
« L'essentiel, conclut-il, c'est qu'il y avait bien entre les deux [Marchais et Leroy] divergence tactique, mais la stratégie était la même : nous casser. »
Je lui demande si Marchais a pu croire que les pressions exercées par les sociaux-démocrates européens – par Helmut Schmidt notamment – aient eu une chance d'être entendues de lui, Mitterrand.
« Quel minable ! me dit-il. Et l'autre, le mesquin, l'autre minable, Roland Leroy, qui a laissé entendre hier, avec plein de sous-entendus, que je ménageais Giscard, que la collusion entre lui et moi était nette ! Ils mentent tout le temps avec un aplomb formidable ! »
Il revient sur son idée-clef : « La presse dit : François Mitterrand n'a plus la situation en main, etc. En fait, je n'ai jamais dit autre chose que ceci : mon but est de remonter le socialisme français. L'union de la gauche est un moyen. Eh bien, je suis à une étape de cette remontée du socialisme, voilà tout. Mais si j'ai 7 à 8 millions de voix aux prochaines élections, ce sera au PC de dire qu'il veut assassiner le parti vainqueur des élections. Et puis, entre les deux tours de scrutin, je mettrai le paquet. Je dirai aux Français : vous voulez la retraite à 60 ans la semaine prochaine ? Vous l'aurez, seulement les communistes n'en veulent pas ! Le SMIC à 1 200 francs ? Les communistes n'en veulent pas ! Je vois très bien ce que je dirai, ils vont voir la vie que je vais leur mener ! »
Le moins qu'on puisse dire est qu'il ne se laissera pas faire ! Il poursuit :
« Les chefs communistes ne le savent pas : leur électorat a changé. On ne lui fera plus jamais faire ce que Marchais a décidé qu'il fasse. Et puis, l'avantage du Parti communiste était sa force de communication avec le réseau de ses militants toujours mobilisables, toujours actifs. Au Parti socialiste, il nous faut toujours quinze jours pour envoyer une circulaire ! Ce qui a tout changé, ils n'en ont pas conscience, c'est la télévision. Maintenant, avec la télévision, je suis en mesure, en quelques minutes, de mobiliser tous mes militants ! Leur campagne visant à nous faire porter la responsabilité de la rupture s'est heurtée à la nôtre, qui disait le contraire : du coup, leurs effets se sont annulés.
« Aujourd'hui, le grand choc passé, ils ne peuvent plus faire grand-chose, ils n'ont plus tellement d'armes. C'est pourquoi, dans un premier temps, j'avais donné aux socialistes le mot d'ordre de répondre coup par coup aux attaques des communistes. De ne rien laisser passer.
« Aujourd'hui, nous sommes entrés dans une autre phase : je donne au contraire aux socialistes la consigne de se taire, de ne pas alimenter la polémique. C'est eux que notre silence met dans une mauvaise situation par rapport à leur base unitaire. »
Nous déjeunons brièvement à l'hôtel du Vieux-Morvan dans la salle commune.
Un mot sur cet hôtel pendant que Mitterrand est remonté quelques minutes dans sa
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