Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
dit-il : c'est au moment où les autres vous croient faible qu'il faut crier le plus fort et faire preuve d'intransigeance ! »
Cela pour me dire que le CDS a beau être un petit, tout petit parti, il ne se fera « bouffer » par personne, y compris par le mouvement dont il est le plus proche, celui des giscardiens. Je remarque qu'une fois de plus, un tas de personnalités politiques préfèrent être les premiers dans leur petit village que les seconds ou les troisièmes à Rome. Il s'évertue à me démontrer que, tout en étant très proche de Giscard, il en est très éloigné, assez en tout cas pour militer au CDS sans vouloir rejoindre le Parti républicain.
« Il y a certes une très grande concordance entre les finalités du président de la République et notre mouvement, me dit-il. Nous sommes en réalité très différents. Je vous donne un exemple : lorsque j'écoute Jean-Pierre Soisson parler, j'entends un homme préoccupé uniquement du concret. Nous, nous mettons au contraire l'accent sur l'idéal. Nous croyons à certaines valeurs, même si on doit les appeler spirituelles. C'est pourquoi, dans cette majorité, nous sommes à part, parce que vigoureusement régionalistes, profondément européens, profondément sociaux. J'ajoute que nous avons une sensibilité écologique que n'ont pas nos partenaires giscardiens. »
Écologique ? Le mot n'est guère à la mode 19 . Je crois que c'est la première fois que j'entends un leader politique autre qu'Antoine Waechter ou René Dumont l'employer. Mitterrand aime bien parler des plantes et des arbres, auxquels je ne comprends rien, mais il n'emploie pas le mot écologie. Pas plus que Chirac, que cela ferait rigoler. Je n'avais notamment jamais entendu dire – sans doute est-ce là manque de culture ou défaut d'analyse – que les démocrates-chrétiens en France fissent une place à l'écologie. Il me détrompe. Il me cite saint François d'Assise et ses petits oiseaux, et, plus près de nous, le mouvement du Sillon de Marc Sangnier, avant guerre. « Il y a une véritable tradition écologique chez les chrétiens, m'assure-t-il : la nature a été voulue par le Créateur. Elle doit donc être conservée et non dégradée. »
« Nous sommes les seuls, ajoute-t-il, à faire dans notre plate-forme des propositions précises sur la défense de l'environnement, sur la culture biologique. Cherchez dans tous les autres textes de la majorité, vous verrez bien que nous sommes les seuls à aborder ce sujet qui laisse tout le monde politique de marbre. »
Après ce petit couplet, il reparle de ce qui différencie le CDS des autres mouvements de la majorité. Une paille ! « Je suis le seul secrétaire général d'un parti de la majorité qui ne soit pas énarque !
« Nous sommes dans la majorité, conclut-il, c'est un mariage de raison. Dans ce mariage, nous apportons un supplément d'âme. »
Et, plus prosaïquement, pour les investitures, comment cela se passe-t-il au sein de la majorité ? Le ton de mon interlocuteur change. La spiritualité s'éloigne : « Nous nous battons pied à pied, me répond-il. Nous n'entendons pas être considérés comme le citron pressé dont on jette l'écorce ! Et moins encore nous contenter d'être les soutiers sociaux de cette majorité. »
Plus que tout autre, l'homme dont le CDS en général et Diligent en particulier semblent se réclamer est Raymond Barre : « Il bénéficie chez nous d'un préjugé incontestablement favorable, avoue-t-il. Il nous apparaît comme étant un homme qui veut dire la vérité. Nous sommes actuellement très proches de lui. »
Raymond Barre, chef du CDS ? Sa position de Premier ministre semble l'exclure. Même s'il ne conduit pas, et pour cause, parce que Chirac est là, toute la majorité, il serait étonnant qu'il soit le chef de file du plus petit parti de la majorité présidentielle. Il n'en a sans doute pas non plus le goût, lui qui a tant de mal à sortir de son personnage professoral.
19 octobre
Michel Debré, que je rencontre dans l'après-midi, regrette que Chirac se soit donné comme unique image celle du pourfendeur du Programme commun et de la gauche tout entière. Il ne nie pas que cette posture présente un avantage, celui d'avoir fait passer Chirac et le RPR comme le meilleur rempart contre les dangers de la gauche. Mais il en souligne les inconvénients : il passe aujourd'hui pour l'homme politique le plus à droite sur l'échiquier
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