Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
défendre, il provoque et attise tous les conflits de par le monde.
Tant d'années pour montrer un autre visage du communisme ! Tant d'années passées à mettre l'accent sur les divergences entre le PC français et le PC russe ! Et ce, pour que Georges Marchais finisse par offrir aux téléspectateurs français ce visage courroucé, plus fermé que le plus fermé des Soviétiques ! De l'eurocommunisme, du Programme commun, il ne reste rien. Aujourd'hui, on peut parler d'alignement. Même si, avec ce culot d'enfer dont il ne se départit pas, le secrétaire général du PC français lance depuis le Kremlin : « Les alignés, c'est Giscard et son gouvernement ! »
Voilà un moment de télévision que je n'oublierai jamais.
18 janvier
Moment fort aussi à Strasbourg, dans l'immense hémicycle bleu canard de l'Assemblée européenne, lorsque Enrico Berlinguer, le secrétaire général du Parti communiste italien, se lève, petite silhouette frêle. D'une voix calme, devant les députés qui l'écoutent dans cette grande salle où, pour une fois, tout le monde s'est tu, il lit le texte qui condamne, en termes mesurés mais nets, l'entrée des troupes soviétiques en Afghanistan. Les communistes français restent de marbre, bras croisés, lorsque à la fin de l'intervention de Berlinguer les autres députés applaudissent.
C'est ainsi, en public, devant tous les parlementaires européens, que le mouvement communiste international se déchire. Tournant historique, presque, auquel Georges Marchais, bien entendu, n'a pas tenu à assister. Il est resté à Paris et c'est le député français du Nord Gustave Ansard qui, en son absence, aligne deux phrases, entrecoupées de lazzi, pour préciser la position, compréhensive, du parti français vis-à-vis de la guerre d'Afghanistan.
À l'échelle internationale, le monolithisme du mouvement communiste vient de se lézarder. À l'intérieur du Parti français aussi, la coupure est patente entre orthodoxes et oppositionnels : ces derniers n'arrêtent pas de publier texte sur texte dans les journaux dits « bourgeois » pour se désolidariser des premiers.
22 janvier
La nouvelle de la mise en résidence surveillée de l'académicien russe Andreï Sakharov 5 est tombée en pleine session du comité central réuni à Ivry lundi et mardi. Même chez les membres du comité central – ceux que j'ai rencontrés à la sortie, en tout cas –, la pilule était difficile à avaler.
Pas pour Marchais, qui en a profité pour délivrer un bout du contenu de son entretien récent avec Leonid Brejnev : dans un document écrit qu'il a remis au chef de l'État soviétique, Marchais avait justement – ça tombe bien ! – attiré son attention sur les manquements à la démocratie en Europe de l'Est et dans les pays du pacte de Varsovie. En somme, il a exploité à son profit la relégation de Sakharov ; il s'en est servi pour justifier, devant le comité central, sa ligne actuelle : oui à la politique extérieure de l'URSS, oui à Kaboul ; non pour ce qui est de l'absence de démocratie interne.
Marchais, stupéfiant ! Dans l'histoire du PC, jamais sans doute un dirigeant communiste n'a montré autant de culot. Ni Thorez, ni bien sûr ce pauvre vieux Waldeck Rochet.
Il y aura un mort à gauche, j'en suis sûre, d'ici à 1981 : Marchais ou Mitterrand.
22 janvier, suite
Michel Debré m'a raconté, ce vendredi 18, son déjeuner de la veille avec Jacques Chirac. Un Chirac qui lui dit, comme il s'y attendait, qu'il va se présenter à l'élection présidentielle, et que tout est possible, y compris le départ de Giscard, qui « n'est plus impensable ».
Debré est irrité parce que Chirac lui dit qu'il avait un message à délivrer alors qu'il pense être, lui, Michel Debré, le seul à pouvoir le faire. « Il ne peut pas dire à la fois qu'il délivre un message, ce qui a une valeur intemporelle, et qu'il demandera, s'il est placé derrière lui, à ses électeurs de se reporter sur Giscard, ce qui est d'ordre purement conjoncturel ! »
En fait, Debré est effaré par le contraste qui existe chez Jacques Chirac entre sa volonté, sa détermination, qui sont immenses, et le flou de ses idées politiques. Tous ceux qui l'approchent et le connaissent se sont faits à cette contradiction de Chirac. Pour Michel Debré, dont la pensée politique est construite, la différence entre ces deux aspects indissociables de Chirac est insupportable. Plus
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