Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
après lui des cellules entières.
Le maire communiste de Sèvres est de ceux-là. Il dit qu'il a l'impression d'avoir franchi le Rubicon ! Laurent Salini, l'éditorialiste de L'Huma , a été poussé de côté. Il pense, me dit Spire, que Marchais n'a aucune pensée politique. Un temps, la direction a chargé Salini des liens entre L'Humanité et les éditions du Parti, les Éditions sociales. Même cela, il n'a pas pu le conserver. On lui a enlevé les Éditions sociales, et Roland Leroy lui a préféré, pour incarner la ligne du Parti, un autre éditorialiste, René Andrieu.
L'intervention soviétique en Afghanistan est, parmi ces militants qui s'interrogent sur la politique du PC et ses liens avec l'URSS, la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Ils jugent préoccupant le manque de perspectives des dirigeants communistes. D'autres continuent à se persuader que le PC français doit renforcer sa spécificité au sein de la gauche française, et qu'il lui faut donc jouer un rôle prépondérant dans les instances communistes internationales.
Les communistes sont donc aujourd'hui divisés : le clan prosoviétique, derrière Gaston Plissonier et Georges Gosnat, personnage d'autant plus important au PC qu'il en est le trésorier, et le clan des oppositionnels.
Ajoutons à cela l'affaire Fizbin, qui a touché l'appareil du Parti et la plupart des communistes parisiens qui le connaissent bien et l'aiment beaucoup.
Entre les deux camps, Georges Marchais se bat, paraît-il, au sein du bureau politique pour définir une position plus ouverte.
J'en profite pour parler de la nouvelle génération de communistes qui entoure Marchais. Les uns et les autres n'ont peut-être pas beaucoup d'humour, mais on aurait cependant tort de croire qu'ils sont tous faits sur le même modèle. Le dauphin, c'est Charles Fiterman, qui a pris cette place, convoitée, depuis que Roland Leroy et Paul Laurent voient leur influence diminuée au sein du Parti. C'est l'ancien directeur de l'école des cadres de Bobigny où des ribambelles de cadres du PC sont venus faire leurs classes. Parce qu'il parle lentement, on le prend à tort pour un esprit lent. C'est tout le contraire. J'ajoute qu'il a dirigé la négociation sur le Programme commun en 1977, laquelle a abouti à la rupture : il n'est pas sûr que lui-même l'ait voulue.
Maxime Gremetz, râblé, petit, front bas, a succédé à Jean Kanapa à la direction de la section étrangère du comité central. Cet ancien OS de la métallurgie a remplacé un agrégé de philosophie. Je ne veux pas voir dans ce remplacement une baisse du niveau des dirigeants communistes, mais enfin...
Toujours parmi les jeunes dirigeants qui font partie des hommes de Marchais, il y a André Lajoinie : la cinquantaine, épais, la poignée de main ferme, placide, il a été l'un des principaux orateurs communistes pendant la campagne des législatives en 1978 3 .
Francette Lazard, jolie, brune, la quarantaine, est d'origine « bourgeoise » – son père était médecin, elle appartient à la branche cadette de la famille des grands banquiers. Directrice adjointe de L'Humanité , elle a pris auprès des intellectuels la place de Roland Leroy, qui se méfie d'elle comme de la peste.
Voilà donc la nouvelle équipe. Tout cela confirme l'éloignement de Leroy après le XXIII e Congrès.
Ce qui est sûr, c'est que Marchais s'est entouré d'une garde rapprochée de jeunes et nouveaux dirigeants. Pour se présenter en 1981 ?
11 janvier
Incroyable mais vrai . Au journal télévisé de 13 heures que présente, comme d'habitude, Yves Mourousi, Georges Marchais apparaît depuis la Place rouge. Le matin même, Pierre Joxe, responsable des affaires internationales au PS, lui a adressé à son hôtel un télégramme auquel il ne s'attendait certes pas. Joxe le sommait « d'avoir la clairvoyance et le courage de dire aux Français la vérité sur la situation en Afghanistan ».
À cette lecture, le sang de Marchais n'a fait qu'un tour, et, visiblement, lorsqu'il apparaît sur les écrans de TF1, il ne s'est pas calmé. Patrice Duhamel 4 , qui l'interroge, et Mourousi en sont comme deux ronds de flan. Déchaîné, Marchais traite Joxe d'insolent, de « paltoquet » et de « petit valet de François Mitterrand ». Pour ce qui est de l'Afghanistan, les Soviétiques lui ont tout expliqué, il comprend très bien leur intervention. Son explication : l'impérialisme capitaliste est aux abois. Pour se
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