Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
qu'insupportable : inimaginable.
La discussion s'est terminée sur ces répliques :
« Oui, a fait Chirac, je compte bien me présenter !
– Eh bien, dans ce cas, a répondu Debré, nous serons deux ! »
Entre nous, je ne vois pas comment il pourrait faire acte de candidature si Chirac se présente. Mais Debré s'en fiche, c'est sa force.
Vu Jean-Philippe Lecat, la semaine dernière, le 16. Pour lui, Barre va rester jusqu'en 1981. Même si, comme me l'a dit Pierre Hunt, le barrisme est une histoire terminée.
Pourquoi ? Parce qu'il juge que ce dont Giscard a besoin, c'est d'une dizaine d'hommes déterminés pour mener sa campagne, et d'un Premier ministre qui s'occupe des affaires courantes. Ce que fera très bien Raymond Barre. Giscard ne lui en demandera surtout pas davantage !
Donc, en avant, dans cet équipage, pour 1981 !
25 janvier
Mitterrand, que je rencontre, ironise sur Chaban qui, parti trop vite pour Moscou, en est rentré précipitamment après l'annonce de l'envoi en relégation de Sakharov. Il me dit : « Imaginez que ce soit moi qui sois parti à Moscou et qui en sois revenu de cette façon : que n'aurait-on pas dit sur mon inféodation aux Soviétiques ! »
Il ajoute, acide : « Heureusement que les dirigeants communistes ne disposent pas en France des moyens de m'expédier à Gorki, mais, moralement, c'est la même chose ! »
Sur le reste, il ne croit pas, ou plus exactement de moins en moins, à Michel Rocard. Il ne cesse de minimiser ses compétences. « Il est l'un de ceux – il y en a quelques-uns, d'accord – qui peuvent prétendre à gérer l'État. C'est tout. Rocard, c'est un symbole, un mythe : le symbole de ces Français qui votent socialiste à condition qu'on ne fasse pas de socialisme ! »
Il ajoute : « Rocard bénéficie à 80 % de ma cote personnelle et de la puissance du PS. En dehors de ces 80 % là, il attire les électeurs qui pensent qu'il ne fera rien ! »
Oui, mais justement, c'est sur tous ces électeurs indécis, venus du centre ou du « marais », que compte Michel Rocard pour être élu. François Mitterrand ne les a pas. Il ne les a d'ailleurs jamais eus. Et si l'autre les avait ? Derrière la tranquillité affichée par Mitterrand, je lis au contraire son inquiétude.
Et aussi son irritation grandissante. Comme quelqu'un qui regarde les sondages tous les jours en feignant de ne pas s'émouvoir, et qui mesure les progrès d'un rival qu'il trouve de surcroît médiocre !
Mitterrand me dit qu'il ne fera rien d'ici septembre-octobre, voire novembre. « Je lui ai laissé la possibilité de se présenter, en élections primaires, devant le Parti socialiste. Il n'en profite pas, tant pis pour lui ! »
Comment traduire cette phrase elliptique – du Mitterrand pur jus ? Il veut dire que Michel Rocard ne s'attendait pas à cette possibilité de pouvoir combattre Mitterrand lors d'élections primaires devant le PS. Aujourd'hui, après que Mitterrand en a offert la possibilité, Rocard pourrait, s'il le voulait, s'il l'osait, foncer, se présenter contre Mitterrand, solliciter les suffrages du Parti. Risquer le tout pour le tout, quoi ! Il n'ose pas le faire, et Mitterrand n'est pas mécontent de démontrer que son rival n'ose pas faire ce que lui-même aurait fait à sa place...
Les communistes ? Après sa plaisanterie sur Gorki au début de notre conversation, il reste vague. « Je ne me prosterne pas devant eux, comme le dit votre journal », me glisse-t-il. « Marchais, quel curieux homme ! » songe-t-il tout haut.
Les radicaux de gauche ? Ils risquent, en présentant un candidat, de lui rendre le premier tour plus difficile, mais, en revanche, de lui amener des voix pour le second. Donc, il n'a pas à en vouloir à Michel Crépeau qui veut à toute force se présenter.
Je réalise ce qu'il vient de me dire comme sans en mesurer lui-même l'importance : de « lui » rendre le premier tour plus difficile, de « lui » amener des voix au second ? Lorsqu'il parle sans prendre de précautions, il n'envisage même pas une autre candidature que la sienne ! Je ne sais comment il va s'y prendre : les sondages de Michel Rocard sont si hauts, le parti socialiste a tellement envie de gagner la prochaine fois – comment Mitterrand peut-il les convaincre de le désigner une nouvelle fois après tous ses échecs ?
Une dernière phrase sur un autre de ses concurrents, Jacques Chirac : « S'il se présente,
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