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Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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il est obligé, pour exister, de se démarquer de Giscard. » Il ne croit donc pas possible une réconciliation entre les deux hommes. La droite divisée, à ses yeux, c'est le plus beau cadeau qu'elle puisse lui faire !
    Quant à la crise internationale autour de l'Afghanistan, il ne s'en effraie pas outre mesure. Il s'agit dans son esprit d'une crise passagère : « Dans six mois, me dit-il, vous verrez, l'URSS et les États-Unis vont se réconcilier. »

    30 janvier
    C'est Jean Lecanuet qui se fait pour moi l'interprète de la pensée de Giscard, qu'il a rencontré mardi ou mercredi dernier, me dit-il, pour une discussion politique en tête à tête qui a duré près d'une heure et demie.
    Je ne sais pas exactement ce que sont les relations entre ces deux hommes. À travers ce qu'il m'en dit, j'imagine que Lecanuet n'éprouve pas vraiment d'amitié pour Giscard. Il ne me paraît pas non plus très respectueux de son intelligence ou de son brio. Il est vrai qu'agrégé de philo, évoluant dans le monde politique, et même candidat à l'élection présidentielle de 1965 bien avant que Giscard fasse acte de candidature à quoi que ce soit, il pourrait lui en remontrer sur bien des points. Il se garde bien de le faire.
    Il a avec Giscard des rapports exclusivement politiques : il est chef du parti majoritaire, Giscard est président de la République. Point final.
    Apparemment, Lecanuet y trouve son compte. Il me semble qu'il se contente de ce qu'il a, sans chercher plus, sans vouloir embarrasser qui que ce soit, avec, oui, modestie et intelligence. Voilà quelqu'un de tout à fait méconnu, maniant un langage direct, sans fioritures, que les Français ont baptisé « Dents blanches » depuis qu'il a fait son apparition à la télé pendant la campagne électorale de 1965. Cela lui a beaucoup nui. Une injustice de plus dans la vie politique : en le voyant, ce jour-là, les Français ont admiré son visage plus que ce qu'il disait.
    Lecanuet est président du parti giscardien depuis deux ans. Il n'y commet aucune faute, reste en relation avec les uns et les autres, de Mitterrand à Chirac, sans faire de vagues, en analysant leur action avec la gouaille et le vocabulaire directs qui sont les siens et que personne ne lui soupçonne.
    Il me décrit Giscard comme évidemment très préoccupé par la crise internationale. Il lui paraît important que l'Europe définisse une position originale avec les pays du Sud, surtout au moment où le monde arabe se détache de l'emprise soviétique. Giscard a toujours été partisan, me dit Lecanuet, de l'axe Nord-Sud, de l'Eurafrique. Il est conforté dans cette stratégie par la crise du pétrole. La France ne joue de rôle ni en Asie ni en Amérique latine ; son domaine d'action privilégié reste la Méditerranée. « On a les idées, ils ont le pétrole : telle est la pensée n o  1 du Président », m'assure Lecanuet, qui ajoute, interprétant toujours la doctrine présidentielle : « Les Américains ne sont pas les mieux placés avec les pays arabes, les Soviétiques se mettent mal avec eux depuis l'Afghanistan ; c'est le moment d'agir. »
    Son deuxième objectif est de faire faire un pas en avant à l'Europe. Ponia vient tout juste de parler d'une politique de défense unifiée de l'Europe, il a même parlé d'une force atomique commune. Lecanuet lui-même est dans cet état d'esprit : le colloque organisé par son club France-Forum, le 18, il y a tout juste deux jours, est allé dans ce sens.
    « Je suis à fond d'accord là-dessus », me dit Lecanuet, qui, effectivement, sur ce terrain, bénéficie d'une vraie légitimité. « Cela fait vingt ans qu'on tourne autour du pot ! Il est pourtant vrai que l'ombrelle atomique – ce sont ses termes – est trouée, vrai que les Allemands s'en inquiètent, vrai que c'est peut-être le moment de les convaincre qu'une possibilité de défense européenne existe. »
    Il y a pourtant un domaine où Lecanuet n'est pas d'accord avec Ponia, autre interprète de la pensée présidentielle : il n'entend pas « désOTANiser » l'Europe – il n'est pas favorable, je m'en doutais, à une Europe indépendante qui se séparerait des États-Unis. « Il faut deux piliers à l'Alliance », répète-t-il.
    Il insiste : « Giscard essaie de donner une originalité à la politique française, mais il ne le pourra pas si celle-ci n'est pas partagée par les pays européens. » Autrement dit : il n'y a pas

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