Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
assez déroutée par la faiblesse de sa démonstration. Est-ce là le successeur de Leroy chez les intellectuels ? Je reste sceptique.
Il ne m'en dit pas moins, pour finir, que Rocard et Mitterrand, c'est du pareil au même, qu'il n'y a aucune différence politique entre eux. « Au PS, juge-t-il, c'est l'usure et la division. »
12 mars
L'Express vient de publier une enquête sur le passé de Georges Marchais, celui sur lequel, à mots couverts, on me dit que les maoïstes de La Cause du Peuple avaient les premiers mis l'accent il y a dix ans 15 . Et auquel un auteur venu de l'extrême droite, Nicolas Tandler, vient de consacrer une biographie qui fait grand bruit 16 . Tout y est de ce que Philippe Robrieux, ancien préféré du couple Thorez-Vermeersch, devenu transfuge du PC, avait commencé de me laisser entendre il y a plusieurs mois. Avec, sous la plume de Jean-François Revel 17 , tout ce qu'il faut d'anticommunisme pour faire des articles publiés par L'Express un véritable événement de presse.
Au-delà de la façon dont elle est exploitée, l'enquête de L'Express et les accusations de Nicolas Tandler sont tout à fait passionnantes, révélant des tas de choses dont on murmurait qu'elles étaient vraies sans y croire complètement. Que Marchais n'ait jamais fait de résistance, même s'il était en âge d'y jouer un rôle, ce n'était un secret pour personne. Qu'il ait été requis par le STO, je le savais. Mais qu'il ne soit revenu d'Allemagne qu'en 1945, qu'il ait été dans les usines Messerschmitt, cela vraiment, je ne le savais pas. Je pensais qu'il était rentré en France en 1943 en prenant prétexte d'un décès dans sa famille et qu'il s'était planqué jusqu'à la Libération.
Au surplus, au procès de 1977, qu'il avait lui-même intenté pour diffamation au journal d'extrême droite Minute , il avait pleuré, grondé, éructé et finalement donné l'impression qu'à travers lui, des anticommunistes forcenés cherchaient à ébranler le Parti communiste.
On comprend mieux maintenant certaines réactions d'anciens grands résistants comme Maurice Kriegel-Valrimont et Charles Tillon, lorsque Marchais a succédé à Waldeck Rochet en 1970 18 . À l'époque, il y a dix ans, ces prises de position étaient plus ou moins passées inaperçues, je ne sais pourquoi, sans doute parce qu'elles étaient rapportées par des sortes de « groupuscules », les maoïstes essentiellement.
Sur ce coup, comme on dit, je me suis fait « griller ». Il faut dire que je travaillais plus sur Giscard que sur les communistes. Comment rattraper les choses, et, comme disent les vieux rédacteurs en chef, « faire progresser l'information » ?
Nous nous sommes posé la question, au Point , à la conférence du lundi matin : comment faire avancer l'information ? En allant – il me semble que c'est le bon moyen – rendre visite à Charles Tillon, en Bretagne, dans le petit village de La Bouexière où il s'est retiré. Je ne pense pas – mais peut-être que je me trompe – qu'il figure au nombre des informateurs de L'Express .
Pourquoi lui ? Parce qu'il a été un grand résistant, qu'il a été une figure emblématique du PC, qu'il a signé l'appel de 1970 contre Marchais, parce qu'il a été deux fois écarté du Parti ou renvoyé à la base : en 1952, lorsque les partis communistes ont exclu partout en Europe les anciens héros de la Résistance ou de la guerre d'Espagne ; et après Prague, en 1968. Si quelqu'un peut parler aujourd'hui, c'est lui, d'autant qu'il a sûrement quelques comptes à régler avec l'équipe Marchais.
Marchais a-t-il été ou non un embusqué de la guerre de 39-40, est-il parti de son plein gré en Allemagne, ou était-il requis au titre du Service du travail obligatoire ? Dans ce cas, pourquoi, comment est-il devenu – et resté – secrétaire général du Parti communiste ?
Philippe Robrieux, il y a plusieurs années, m'avait déjà laissé entendre qu'il y avait dans le passé de Georges Marchais bien des zones d'ombre, bien des noirceurs. Il contestait la biographie officielle : Marchais requis du STO et envoyé en Allemagne en 1942. Sans doute par manque d'informations supplémentaires, à l'époque, il n'était pas entré dans le détail.
Aujourd'hui, Charles Tillon, qui fait largement ses 62 ans, m'a ouvert la porte de sa maison bretonne. Il raconte sans se faire prier, comme je m'y attendais, intarissable pendant des heures. Je le laisse faire,
Weitere Kostenlose Bücher