Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
« La Russie de 1950, celle de Staline, n'était pas celle d'aujourd'hui. Elle était surpuissante. Et puis il y avait la guerre froide. Aujourd'hui, c'est fini, et on peut être sûr d'une chose : s'il y a eu un échec au xx e siècle, c'est bien l'échec du communisme. »
Il n'en est pas si sûr.
Sur Giscard, justement, je le trouve étrangement libre, comme détaché. Curieux : jusqu'à aujourd'hui, je pensais qu'il était, en tous domaines – affaires étrangères, affaires intérieures, Europe –, le plus proche du Président : est-ce précisément sur l'Union soviétique, sur l'invasion afghane qu'est née leur première divergence ? Peut-être bien.
Nous l'écoutons maintenant parler, d'une façon qui me surprend, de Giscard : « Il a, dit-il, un talent extraordinaire pour faire du surf sur les vagues. Et, vous savez, pour rester à califourchon sur une vague, il faut être très fort. Au fond, VGE est comme Carter ! »
Je sais ce que Giscard pense de Carter, puisque, la dernière fois que je l'ai vu à l'Élysée, il a dit, sans précaution, qu'il le trouvait plus que médiocre. Je m'esclaffe.
« Ne riez pas, me dit sérieusement François-Poncet. Avouez qu'il faut être fort pour se faire prendre cinquante otages, transformer cela en victoire, et tenter de gagner des voix avec ça. Tout le monde ne le fait pas 14 ! »
Il est à ce poste jusqu'aux élections, je pense, puisqu'il n'y aura sans doute pas de remaniement pendant la dernière année du septennat. Cela cadre mal avec l'espèce de décontraction dont il fait preuve à l'égard du président de la République.
Je m'interroge, au moment où je finis d'écrire ces lignes : pourquoi ai-je entendu, depuis quelques mois, autant d'anciens amis de Giscard prendre leurs distances avec lui ? Je veux dire : pas des amis récents, venus ou plutôt parvenus dans les allées du pouvoir. Je pense à Claude Pierre-Brossolette, ami depuis la jeunesse, quittant l'Élysée au bout de quelques mois passés auprès du Président, sans cacher je ne dirais pas sa déception, mais en tout cas son désenchantement. Je pense à Jean-François Deniau se demandant devant Roger Stéphane ce que Giscard lui reprochait et pourquoi, à son avis, il n'était devenu ni ministre ni ambassadeur, alors qu'il avait été auparavant le plus proche de Giscard. Je pense à J.-J. S.-S., compagnon des jeunes années, tenu à l'écart depuis le début du septennat. Je pense même à Michel Poniatowski, le lieutenant préféré, le spadassin de Giscard, écarté sans ménagements du gouvernement – même si, sur le moment, son départ n'avait pas été interprété ainsi – en même temps que les autres ministres dits « politiques » du premier gouvernement Barre, en 1977.
Pourquoi tous ses amis le jugent-ils aujourd'hui avec ce détachement, et même, pour certains d'entre eux, cette sévérité ?
Est-ce par jalousie, comme je l'ai pensé lorsque Jean-François Deniau nous parlait de lui ? Est-ce parce qu'ils ne comprennent pas pourquoi Giscard a eu ce destin, et pas eux ? Peut-être.
Ou l'homme Giscard est-il réellement décevant ? Dans ce cas, ce n'est pas son intelligence qui serait en cause : elle n'est pas contestée. Sa personne, alors ?
4 mars
Vu Guy Hermier, un des représentants de la nouvelle génération communiste, qui dirige le journal Révolution où je le rencontre. Le nouvel organe de presse du Parti, me dit-il, s'adresse aux intellectuels, aux enseignants, aux professions libérales, à tous les personnels qui gravitent autour de la création, sans oublier la masse de ces ITC (ingénieurs, techniciens, cadres) chère, en d'autres temps, à Roland Leroy, et les militants du mouvement social, de la vie associative et culturelle, que le PC veut arracher à l'attraction socialiste.
« Notre influence grandit chez les intellectuels », m'assure-t-il avant de tenter de me démontrer que les intellectuels d'aujourd'hui ne sont pas ceux d'hier. Aujourd'hui, selon lui, ils sont moins dans la production des idées, dans les universités, dans les médias, que dans les forces sociales. « Au lendemain de la Première Guerre, poursuit-il, les intellectuels étaient des individualités : Henri Barbusse, Anatole France, André Gide, etc., qui se voulaient dans une solidarité généreuse avec la classe ouvrière. Aujourd'hui, les intellectuels deviennent communistes, ils s'inscrivent au Parti pour changer le monde ! »
Je suis
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