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Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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Nièvre, lorsqu'on parle à un paysan d'appareil, il croit que c'est de son dentier qu'il s'agit ! »

    18 février
    Conférence de presse de Roger Garaudy. Il y a dix ans jour pour jour qu'il a été écarté du Parti communiste. C'est un anniversaire, donc, d'une nature certes particulière.
    La conférence commence dans un bordel inouï : un magnéto où parle un inconnu déverse à plein volume des couplets sanglants sur le goulag. Lui, complet strict, se lance dans un couplet inattendu sur la joie. Dans la salle, un fatras de marginaux l'encouragent et l'applaudissent.
    Essayons de voir ce qu'il y a derrière ce phénomène : un appel aux femmes, un appel aux vivants pour réveiller les morts, un discours quasi religieux, pas politique en tout cas : « La politique commence, dit-il, comme la foi, lorsque chacun a conscience d'être personnellement responsable de quelque chose. C'est un rêve que chacun porte en lui comme une graine. La politique n'est plus une activité séparée de la vie ; or on ne peut changer la vie sans se changer soi-même. »
    Il continue près d'une heure sur ce registre. « Voter, explique-t-il encore, c'est lier son sort à des partis ou à des élus. La politique à hauteur d'homme consiste au contraire à se prendre en charge, à ne pas attendre d'un autre qu'il nous dise ce qu'il faut faire » – pour finir, donc, sur un véritable hymne à la joie, moteur de l'avenir !
    Je suis stupéfaite. Son éviction du Parti communiste a transformé Garaudy en une sorte de Lanza del Vasto prêchant tout à la fois une « reconversion de l'appareil bureaucratique » et des « milliers de centres de captation solaire », un moratoire sur le nucléaire et l'extinction du chômage. « Nous procèderons non par propagande, affirme-t-il à la toute fin, mais par contagion ! »
    J'en reste abasourdie. L'idée qu'il y a une quinzaine d'années, les dirigeants communistes aient utilisé Roger Garaudy pour combattre l'influence du philosophe Althusser sur les étudiants, et que le même homme tienne aujourd'hui un langage de folie douce, me sidère.
    Terrible, quand on songe qu'Althusser, lui, va de séjour psychiatrique en séjour psychiatrique.

    20 février
    Conférence de presse de Georges Marchais devant ces journalistes qu'il ne cesse de dénoncer. Comme il est à l'aise, malgré tout, devant nous, bête de scène qui mourrait s'il ne pouvait monter sur les planches ! Je me demande comment il peut croire à ce qu'il dit. Depuis que la Russie est entrée en Afghanistan, il multiplie ces rencontres, poussant chaque fois le bouchon un peu plus loin. Poing tendu, index vengeur, menaces dans la voix, rire gouailleur, tel qu'en lui-même, quoi ! Il annonce, pour nous prendre de court, la création d'un Comité de défense des libertés et des droits de l'homme dans le monde. Parfait ! Cet hymne à la liberté, prononcé sur un ton martial, est bel et bon. À cette nuance près que lorsqu'il se met à dresser le premier bilan des droits de l'homme de par le monde, il cite le Mexique et le Cambodge, l'Angola et l'Afrique du Sud. Un seul absent dans ces pays montrés du doigt : l'URSS.
    Puis il étrille de belle manière Andreï Sakharov qu'il accuse – au moment même où, exilé à Gorki, le savant vient d'être molesté dans un commissariat – d'avoir soutenu, au Chili, le général Pinochet 10  !

    21 février
    Déjeuner chez et avec André Giraud, ministre de l'Industrie 11 . Il est assez convaincant, il me semble, à défaut d'être drôle. Il parle, dans le désordre, du nucléaire (« Plogoff 12  ? Appliquer la loi », dit-il, ce qui veut dire : « Respectons les gens qui manifestent contre la centrale, mais construisons-la tout de même ! »), puis de politique internationale : il est violemment antiaméricain et commence son exposé et son repas – comme toujours raffiné – par une condamnation de Jimmy Carter : « Comment, se lamente-t-il, confier l'Amérique à ces gens-là ! »
    Olivier Chevrillon, le président du Point , assez facilement pro-américain, surtout en ces moments de crise afghane, manque de s'évanouir !
    Pour le reste, André Giraud est partisan – ce que ne sont ni Giscard, ni François-Poncet – de « prendre des gages ». Comment cela, prendre des gages ? Il s'explique : les Occidentaux ne peuvent qu'accepter la prise de Kaboul, vitale pour l'URSS – que faire d'autre ? En revanche, il pense qu'il faudrait

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