Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
reprendre aux soviétiques Aden, par exemple. « Une monnaie d'échange est nécessaire », dit-il.
Puis il évoque l'enquête que Le Point a faite cette semaine sur l'argent des hommes politiques. Il a refusé de répondre, et il explique pourquoi : parce qu'il estime qu'il est tout à fait transparent et qu'il n'a donc pas à répondre à ce genre de questions. Il ajoute que l'enquête sur l'argent des hommes publics empiète presque automatiquement sur la vie privée. De ce point de vue-là, il n'a rien à cacher, ce qui ne l'empêche pas de trouver insupportables les pressions exercées par qui que ce soit pour lui faire avouer le montant d'une fortune qu'il n'a pas. « La Haute Administration n'enrichit personne. Et si j'ai acheté une poignée d'actions Monory, ç'a été pour lui faire plaisir ! »
Tout cela conclu par une charge sur les seize sous-marins dont Jacques Chirac voudrait que la France se dote : « Complètement absurde ! dit-il. Il faut diversifier les armes nucléaires stratégiques, et non pas multiplier les sous-marins. »
24 février
Chirac n'y va pas par quatre chemins. Une déclaration de lui qui tombe aujourd'hui parle de la politique de « complet laisser-aller du pouvoir » : « Il y a, a-t-il dit, une espèce d'avachissement, d'affaiblissement général dans notre économie ! »
Je suis assez surprise de cette sortie : je pensais que Chirac avait à nouveau mis un bémol dans ses relations avec Giscard. D'autant qu'il y a près d'un mois (le 24 janvier, je crois), il avait été invité à déjeuner à l'Élysée pour un repas à quatre avec Bernadette Chirac et Anne-Aymone 13 , et qu'à l'issue du repas les deux hommes s'étaient isolés pendant plus d'une heure – soixante-quinze minutes, ont compté les journalistes qui attendaient Chirac à la sortie – pour une conversation qualifiée de « sérieuse ».
Phrase que d'autres que lui, Michel Debré notamment, répètent à l'envi, mais qui, dans la bouche de Chirac, prend d'un coup un ton guerrier et vengeur.
25 février
Vu Balladur qui me parle essentiellement des relations entre Georges Pompidou et le général de Gaulle. De Gaulle, hostile à Pompidou et le gardant à contrecœur à Matignon, comme me l'a assuré Burin des Roziers il n'y a pas si longtemps ? Il est sûr du contraire : « C'est prêter à de Gaulle une naïveté et une absence de discernement dont ses pires ennemis ne l'ont jamais soupçonné ! »
27 février
Dîner avec Jean François-Poncet chez Claude Imbert.
Claude, directeur du Point , habite un duplex qui lui ressemble, rue du Cherche-Midi : raffiné et chaleureux. Qu'Imbert soit un gourmet, qui peut en douter en découvrant, dans une petite pièce carrée proche de la cuisine, les tables de bistrot généralement recouvertes de mets somptueux.
Jean François-Poncet, que je ne sens pas habité par un goût irréfréné du plaisir, reste impavide devant ces merveilles de gastronomie, et ne dévie pas un seul instant du sujet qu'il traite devant nous ce soir.
Il explique avant tout la politique de la France par cette certitude : l'URSS a fait une énorme erreur en intervenant en Afghanistan. Cet acte de guerre marque la fin de la décolonisation.
« Avant l'invasion de Kaboul, nous dit-il, tous les pays en voie de décolonisation se tournaient avec espoir vers l'URSS. Entre eux existait une sorte de cordon ombilical. Aujourd'hui, c'est terminé ! »
Jean François-Poncet continue : « Je crois beaucoup plus, pour punir les Soviétiques, à la pression des Afghans ou à la réaction des pays musulmans qu'à n'importe quelles représailles venues de l'Occident. »
Derrière son langage feutré, on comprend, sans trop se donner de mal, qu'il trouve, lui, qu'on aurait pu « parler plus fort depuis le début ».
Une pierre diplomatiquement envoyée dans le jardin de Giscard dont il pense qu'il a fait montre de trop de compréhension envers les Soviétiques. Il convient néanmoins avec franchise que rien, dans son cheminement idéologique passé, pendant la guerre froide, ne l'amenait à se montrer compréhensif avec Moscou : « Dans les années 1950, je n'étais pas le moins du monde compréhensif, je vous l'assure, avec les Soviétiques ! »
Ce n'est pas à moi de défendre Giscard auprès de François-Poncet qui lui reproche, sans le dire mais en le pensant très fort, une certaine mollesse dans cette affaire. Pourtant, c'est moi qui rétorque :
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