Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
des pays arabes...
Question sur l'Europe. Elle répond, comme je m'y attendais, dans le sens de l'appel de Cochin, dont je me suis souvenue, au moment où elle parlait, qu'elle l'avait sinon écrit, du moins inspiré.
« Je me suis interrogée, dit-elle avec gravité, sur les raisons qui pouvaient nous conduire à faire de la Constitution européenne l'alpha et l'oméga de notre construction politique. J'en suis venue à penser que le président de la République pensait que la France était une puissance trop moyenne pour avoir une politique à elle seule, et qu'il convenait de la fondre dans un ensemble dont elle pourrait assumer la direction au moins morale. Il me paraît clair que l'Europe politique n'est pas une réalité à laquelle nous pouvons adhérer actuellement. »
La suite est un festival de vacheries en tous genres. Interrogée sur la loi Sécurité et Liberté, elle ne peut s'empêcher de retrouver, à propos d'Alain Peyrefitte, l'ironie acide qui l'a rendue si redoutable dans les milieux du pouvoir : « Dans le conflit entre Le Monde et Peyrefitte, Peyrefitte, dit-elle, me fait penser à un dinosaure. Il a été égratigné en 1979 et il ne s'en est aperçu qu'en 1980. » Suit un couplet corrosif sur les dinosaures qui ont péri par bêtise, en somme, parce que le chemin entre leurs membres et leur cortex était trop lent. L'assistance est ravie. Le couplet fini, elle exécute la loi :
« Pour moi, explique-t-elle, il y a deux attitudes en politique : une attitude purement politique, et puis une autre qui est faite pour masquer que l'on n'a pas de politique. La loi Sécurité et Liberté appartient de toute évidence à la deuxième catégorie. »
Puis vient une brillante sortie contre Giscard et les technocrates : « En 1974, pour la première fois de son histoire, la France n'a été gouvernée que par des technocrates. Je le sais, j'étais la seule à ne pas l'être ! Ils ont été élevés dans un univers d'où le risque était exclu ! »
Sans oublier une tirade contre Barre : « Je ne suis pas la meilleure économiste de France, je ne suis pas économiste du tout, d'ailleurs. Je me demande si nos économistes n'oublient pas que ce qu'ils prévoient, ou ce qu'ils dirigent, ce sont des hommes ! »
Ne pense-t-elle pas que Debré, plus elle, cela fait beaucoup de monde contre Chirac ? « Si Chirac est candidat sur la case de Michel Debré, il n'a qu'à s'arranger avec Michel Debré ! »
Pour finir, elle annonce qu'elle accepte un débat avec Georges Marchais, lequel ne pensait sûrement pas à elle lorsqu'il a proposé – sans succès, jusqu'à aujourd'hui – un face-à-face aux autres candidats.
La conférence s'achève. Tout le monde a l'air comblé. Elle a été sûre d'elle et dominatrice. L'humour, la méchanceté, l'intelligence : elle a utilisé tous ses atouts.
19 novembre
Jacques Chirac, qui m'avait invitée à venir le voir hier dans son immense bureau de l'hôtel de ville de Paris, m'a proposé de l'accompagner en Aveyron où se déroulent dimanche des élections législatives partielles. Me voici donc dans l'avion qui l'y emmène. J'écris ces lignes tandis qu'il prépare, comme un écolier, son discours pour le meeting du soir.
Je me suis demandée pourquoi il m'a priée de venir le voir, hier, à 19 h 30. Peu importe : c'est évidemment de l'élection présidentielle qu'il veut me parler longuement (nous nous sommes quittés largement après 20 h 30).
Se présenter ? Il en a envie. Malgré Debré dont il continue à penser qu'il se retirera à un moment donné, et dont il estime d'ailleurs qu'il prendrait autant de voix à Giscard qu'à lui.
Se présenter tout de suite ? Impossible, car les médias, assure-t-il, lui seraient hostiles. C'est à la télévision qu'il doit, m'explique-t-il, son image droitière : on a passé pendant des mois des images de lui, menton en avant, bras levés. S'il annonçait tout de suite sa candidature, ce serait aller « à un casse-pipe formidable ».
Il a donc intérêt à retarder le plus possible sa déclaration.
« De toute façon, pour le moment, le silence me va bien. Beaucoup de gens – environ 90 % des députés RPR ou des simples Corréziens – me suppliaient il y a quelques semaines de ne surtout pas me présenter. Et puis, depuis quelque temps, la proportion tend à s'inverser lentement... »
Nous parlons du financement de la campagne. Je ne lui dis pas que Michel Debré m'a
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