Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
c'est bien tôt ! »
Le sera-t-il dès samedi prochain ? Il rit, tout heureux de manifester son pouvoir : « Ah, vous voudriez bien le savoir, hein, pour faire un scoop ! N'y comptez pas. Je ne vous dirai rien ! »
Nous arrivons à Soissons. Il se lance dans un discours qu'il n'a pas rédigé et dont il n'a pris connaissance que pendant quelques minutes, dans la voiture. Comme s'il ne pensait qu'aux énergies nouvelles depuis sa petite enfance ! Les écolos qui sont là, toutefois, restent sceptiques.
Mais son verbe se fait soudain plus violent : il parle de VGE qui, à propos des économies d'énergie, fait une bonne analyse, mais se hâte d'ajouter que, malheureusement, avec lui, « la conclusion ne vient jamais. Il n'y a rien à attendre du gouvernement de la France », ajoute-t-il pour faire bon poids.
Je reviens, pendant qu'il tente de séduire les écolos du coin, sur ce qu'il m'a dit tout à l'heure à propos de Rocard : « Le Parti socialiste n'avait qu'un ennemi pour son unité, c'était lui. C'était un danger à éviter. »
On le sent tout de même plus préoccupé qu'il ne le dit par le phénomène Rocard. À ses yeux ce n'est rien, que du vent. Mais il sent bien que Rocard « est à la mode », et qu'il l'est moins que lui.
Comment ai-je pu oublier comment notre conversation a commencé tout à l'heure ? Par une métaphore. Il nous a raconté (il y avait aussi dans la voiture, en dehors du conducteur, lorsque nous avons quitté Paris, un de ses amis qui sortait lui aussi du domicile d'Alain Savary chez qui Mitterrand avait déjeuné) comment, dans l'étang que je connais, il avait, cet été, pêché huit truites.
« Et Untel, grand pêcheur, n'en a pris que six ! »
Nous avons éclaté de rire :
« Il vous a laissé gagner !
– Non, non, a répondu Mitterrand. C'est difficile à pêcher, à sortir de l'eau, une truite ! Ça se débat beaucoup, ça fatigue le poignet, il faut laisser du mou, attendre le bon moment. Laisser la truite s'enfoncer, puis refaire surface, s'enfoncer à nouveau ! »
Pas possible : c'est bien de Michel Rocard qu'il parle ainsi !
Retour de Soissons dans la nuit avec la jeune femme qui lui sert pour le moment d'attachée de presse, une jeune femme assez charmante qui s'appelle Marie-Pierre.
« Comprenez-moi bien, répète-t-il, à peine monté en voiture. Je n'ai rien fait contre Rocard. Je l'ai même mieux traité qu'il ne m'a traité... »
Puis, faisant mine de ne pas avoir pris sa décision :
« Qu'est-ce que vous me conseilleriez ? »
Je dis : « Allez-y !
– Cela ne va pas être facile. »
Je le sais d'autant mieux qu'en août dernier, je pensais qu'il ne pouvait qu'être battu par Rocard.
« La situation n'est pas ce qu'elle était alors. Aujourd'hui, sans doute ne peut-on pas vous accuser d'avoir tué Rocard.
– Ça c'est vrai. Il s'est tué tout seul ! »
Il ajoute aussitôt : « Vous vous rendez compte, tout de même : je serai écrasé par les premiers sondages ! »
Mais il n'y tient plus : « Vous comprenez bien que si je laisse Rocard se présenter samedi, je le laisse fermer le jeu. Je peux à la rigueur laisser Chevènement ou Jospin faire acte de candidature. Mais, face à eux, je ne pourrai pas empêcher que Michel Rocard soit désigné. »
Donc, CQFD : il se présentera devant le Parti, samedi. Je l'ai, mon scoop !
Il se croit obligé d'ajouter que s'il est désigné, cela ne changera rien, qu'il pourra se retirer plus tard, s'il le désire.
La conclusion, en un mot, au moment où la voiture le laisse rue de Bièvre avant de nous ramener, Marie-Pierre et moi, à nos domiciles respectifs :
« Je ne suis pas sûr, en fin de compte, de me présenter. Mais Michel Rocard, en tout cas, ne se présentera pas ! »
8 novembre
Mitterrand candidat à la candidature devant le comité directeur du PS, comme tout le laissait prévoir, ce samedi.
12 novembre
Je reviens sur la séance du comité directeur du 8 novembre. Dès l'ouverture de la séance, la hiérarchie du Parti se trouve en présence de deux lettres, l'une de Michel Rocard, l'autre de Mitterrand, tous deux candidats à la candidature.
Dans l'après-midi, surprise : Rocard retire sa candidature. Du coup, Mitterrand reste seul candidat, ce qui paraît aux yeux de beaucoup comme un incompréhensible tour de passe-passe.
Le renoncement de Michel Rocard ne manque certes pas d'allure. Dans une déclaration aux membres
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