Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
du comité directeur et à la presse, il explique son retrait par sa volonté de ne pas diviser le Parti. Il avait fait acte de candidature auprès des socialistes au moment, écrit-il, où François Mitterrand avait affirmé n'avoir ni le désir, ni l'intention d'être candidat. « La déclaration du premier secrétaire du Parti socialiste entraîne donc le retrait de ma candidature 51 . »
Je me demande ce qui se serait passé si Rocard était resté en piste. Certes, il n'a pas derrière lui la majorité du PS, mais il a sans doute encore, à l'heure qu'il est, la préférence des électeurs. Les dirigeants socialistes auraient-ils osé prendre la décision de voter contre Rocard, donc contre les sondages, au profit d'un Mitterrand aujourd'hui au creux de la vague ?
Je n'en sais rien, et je suppose que je n'en saurai jamais rien. Je sais que ce retrait sans combat, si élégant qu'il soit, a laissé le champ libre à François Mitterrand.
À y bien réfléchir, la presse de lundi et mardi ne fait pas un événement de l'abandon de Michel Rocard. On aurait pu concevoir qu'il y ait, à l'issue de ce tour de passe-passe, davantage de commentaires. Nous nous contentons les uns et les autres d'enregistrer la chose. La presse baptisée rocardienne, comme Le Matin , se tait. Ce qui donne a posteriori tort à Mitterrand lorsqu'il parlait, il y a quelques semaines, de « complot » de la presse rocardienne à son encontre.
Même jour
Alain Peyrefitte est furibard contre Le Monde . Il me téléphone hier (11 novembre, sans doute parce qu'il s'ennuyait avec les cérémonies officielles !) pour se défouler contre le quotidien dont il dit que « tant va la cruche à l'eau qu'à la fin, elle se casse ». Qu'il a montré assez de patience avec Le Monde , que le journal ne reflète que l'opinion des magistrats de gauche, évidemment hostiles à la réforme. « Remarquez, me dit-il, lucide, tout cela retombe vite. Il y a eu l'affaire Croissant, il y a quelques semaines, et puis maintenant, c'est la loi Sécurité et Liberté qui fait l'actualité. Cette affaire s'affaissera comme les autres. »
18 novembre
Conférence de presse de Marie-France Garaud sous les lustres et les lambris de l'hôtel Lutétia. Des jeunes filles de bonne famille filtrent invités et journalistes.
Marie-France arrive, parfum et tailleur Chanel. Elle explique sa décision de se présenter par le souci de donner du contenu au débat politique, pour le moment « artificiel, vain et creux. J'aurais souhaité que d'autres le disent, ils ne l'ont pas dit ».
Son analyse est claire, elle l'exprime sur un ton à la limite de l'agressivité, avec, chose rare chez une femme non habituée à la scène publique, une voix harmonieuse, grave mais pas trop. Selon elle, le débat politique, au début des années 1970, était tout entier polarisé entre partisans et adversaires du Programme commun. Les temps ont changé : aujourd'hui, explique-t-elle, les communistes n'ont plus la même stratégie. Ils ne veulent plus accéder au pouvoir, mais faire pression sur ceux qui l'exercent. « Dès lors, le clivage majorité/opposition n'a plus de fondements. Notre choix de société, problème essentiel d'aujourd'hui, n'est pas menacé par un changement politique interne. Désormais, il y a des Français qui croient que la France, pays libre et indépendant, a encore une histoire à écrire, et d'autres qui n'y croient pas. Tout le reste, politique étrangère, défense, etc., dépend de cela... »
Elle est la première dans cette campagne, je crois, à dire tout haut que les communistes français sont sortis du jeu, que le Grand Soir n'existe plus que dans l'imagination des imbéciles. Voilà pourquoi, selon elle, le débat gauche/droite, tel qu'il se déroule en cette pré-campagne, n'a pas de sens.
Ses propos plongent, il me semble, l'assistance dans l'étonnement : ils ne s'attendaient pas à ce que cette pasionaria intelligente et chic enterre ainsi la hache de guerre au moment où chacun, à gauche et à droite, se prépare à la brandir.
Questionnée sur le financement de sa campagne, elle affirme qu'« à sa surprise » des Français, de ce point de vue, se sont spontanément mobilisés.
« J'ai été élevée, répond-elle, par Georges Pompidou. Pas un franc ne provient de l'étranger. Les autres candidats ? Je n'en suis pas sûre, et je sais ce que je dis... » Et pan pour l'argent américain, à moins qu'il ne s'agisse de celui
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