Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
qu'en lui-même.
« Il me fait penser à René Mayer, président du Conseil sous la IV e République, qui, mis en minorité par l'Assemblée, est remonté à la tribune pour engueuler tout le monde, la droite et la gauche, le centre et le milieu ! »
2 décembre
François Mitterrand déjeune à RTL à l'invitation de Jacques Rigaud.
Il est déjà reparti... pour 1983 !
« De deux choses l'une, démontre-t-il à Jacques Rigaud et aux autres convives légèrement éberlués. Il n'est pas tout à fait exclu que je gagne. Mais, si je perds, Giscard ne pourra pas gouverner. Avec le PS ? Je veillerai personnellement à ce qu'il ne se rapproche pas de lui. Il faudra qu'il gouverne avec Poniatowski, d'Ornano, Peyrefitte [sur le ton : Je lui souhaite bien du plaisir...]. Il ne pourra pas dissoudre l'Assemblée pour avoir une nouvelle majorité, parce que avant le deuxième tour de la présidentielle, il se sera engagé auprès des RPR à ne pas le faire. Donc, il ne gouvernera pas plus de deux ans. Jusqu'en 1983 ! »
Jacques Rigaud, qui, comme nous tous, a la primeur de cette analyse, demande :
« Et Chirac ?
– Si j'étais lui, je me présenterais. S'il ne le fait pas, il n'existe plus ! »
Puis il change de ton : « En réalité, Giscard serait balayé par l'union de la gauche. Sa survie, il la doit au Parti communiste qui préfère le faire élire, lui, Giscard, plutôt que moi ! »
Un mot sur les partielles qui viennent de se dérouler. Heureuse surprise : il ne s'attendait, dit-il, qu'à deux sièges (Dordogne et Gironde). Il note que partout le PS améliore ses performances. Il n'entre pas dans le détail du comportement du PS dans le Doubs et du RPR dans l'Ain. Dans le Doubs, il semble que les socialistes aient voté RPR, et que l'inverse se soit passé dans l'Ain 53 .
J'en profite pour lui poser une question sur les convergences entre Jacques Chirac et lui. Il hausse les épaules sans répondre. Quand je l'interroge sur le dîner qui aurait eu lieu entre eux chez Lipkowski, il change de conversation 54 .
3 décembre
Déjeuner avec Alain Peyrefitte. Il parle de Giscard d'une drôle de façon que j'avais déjà observée, d'autant plus libre que sa stratégie, elle, ne l'est pas : elle passe par la victoire de VGE en 1981, et il redoute que la candidature de Chirac ne complique les choses.
Il décrit Giscard comme un « gaullien a-gaulliste », formule que je trouve assez bonne, car elle tient compte de l'allergie de Giscard au gaullisme en général, mais, en même temps, de son comportement volontiers gaullien dans la vie politique.
13 décembre
Georges Marchais, samedi, rédacteur en chef au « Journal inattendu » de RTL : il a accepté de faire l'émission à condition de rester à l'endroit où il passe quelques jours de vacances. Nous sommes donc à Pleumer-Bodou, sous la pluie et le vent, dans un paysage breton magnifique balayé par les embruns.
Décor : une étonnante auberge aux tables en Formica, vieux papier aux murs, appelée La Hutte. Accueil glacial des gardes du corps. Le journaliste de L'Huma Jean Le Lagadec, gêné, vient me rejoindre pour mettre un peu d'animation. Au lieu de me laisser attendre dans la salle à manger de l'auberge, tandis que le technicien s'affaire pour mettre au point le direct, il m'emmène admirer la lande bretonne. Manifestement, le chauffeur qui nous conduit est écœuré par cette collusion avec la presse bourgeoise...
Je rentre à l'hôtel pour apprendre que Georges Marchais refuse absolument de sortir de sa chambre et de nous rejoindre avant les dix minutes qui précéderont l'émission, à 13 heures. Je mets au point les thèmes que je compte aborder avec lui et que relaiera, depuis Paris, le présentateur : la Pologne, bien sûr, la politique intérieure et la gauche, les hausses de prix, la santé, le soixantième anniversaire du PC.
Toujours pas de Marchais.
Au lieu de cela, nous sommes aimablement prévenus que si nous voulions déjeuner, « on » pourrait nous chercher quelque chose ailleurs, parce qu'« ici il n'y a pas de place ».
Nous montrons du regard les nombreuses tables vides dans la salle à manger où nous avons installé nos appareils. Le « on » fait semblant de ne pas comprendre. Il n'y a pas de place : voilà tout.
Sinistre, caricatural, imbécile : où sont donc les banquets communistes d'antan ?
Marchais descend de la chambre qu'il occupe au premier étage de l'auberge, l'œil
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