Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
en les assurant que « cet honneur, je ne l'ai pas sollicité pour mettre mon drapeau dans ma poche ».
Il appelle au rassemblement du PS derrière lui. Un mot pour Michel Rocard « qui pouvait prétendre à nous représenter ». Un mot pour Lionel Jospin à qui revient la charge de tenir la maison. Et, tout de suite, l'appel à l'ensemble des forces populaires. Rien sur le Parti communiste : chacun comprend pourtant à qui il s'adresse lorsqu'il souligne « la lourde responsabilité de ceux qui ont retardé l'heure du changement et cru qu'il leur serait possible d'arrêter le mouvement de l'Histoire ».
Quelques phrases encore sur la droite, le camp des privilégiés et le grand capital, et il termine par cette phrase d'orateur qui lui vaut les ovations des délégués socialistes debout : « Rien ne sera facile, je ne promets rien d'autre que le courage, la continuité de l'effort et de la volonté de gagner. »
Et voilà ! Il n'a pas gagné la course de lenteur, puisque, des trois candidats les plus importants, il est le premier à se déclarer. Pour le PS, en tout cas, le suspense est terminé.
Un déjeuner suit. Au café, il s'approche de la table où j'ai pris place pour parler à la cantonade : c'est le signal donné aux journalistes qui, répartis à différentes tables dans la salle, affluent autour de lui, suspendus à ses propos.
Tout à l'heure, à la tribune, je le trouvais d'une froideur glaciale, calculée. Ici, d'un coup, tout s'éclaire dans son visage et dans ses yeux. Il parle beaucoup en riant de son couvre-chef, une casquette à la Helmut Schmidt, et conclut qu'il lui faut maintenant s'en retourner au béret basque puisque les Français, selon lui, préfèrent ce couvre-tête.
Nous lui parlons des rocardiens. « Mais qui est-ce, dit-il, agacé, les rocardiens ? » et il passe à autre chose. Au drapeau qu'il ne mettra pas dans sa poche, et à Épictète – il cite à nouveau cette formule qu'il affectionne, qui explique souvent son comportement : « Ne pas se préoccuper des choses sur lesquelles on ne peut rien. » Je traduis sans peine : au moins au début de sa campagne, il va tenir le PC pour quantité négligeable, puisqu'il ne peut rien sur lui.
Il a quelques formules couvertes par le brouhaha autour de lui. J'entends néanmoins qu'il tombe dans le piège de reconnaître qu'au-delà de 25 % des suffrages au premier tour, il n'a pas de chances au second (ce qu'on lui resservira évidemment s'il n'obtient que 24 %).
Je lui demande quand va commencer la campagne. « Eh, me dit-il, que croyez-vous que je fasse aujourd'hui ? Elle commence ce soir, la campagne ! »
Je le sens jubiler à l'idée de ce nouveau recommencement ! Formidable itinéraire que le sien, sans cesse repris, reparcouru !
Il parle également, pendant ces quelques minutes, de ce que Pierre Messmer a dit sur France Inter, hier ou avant-hier. En des termes peut-être un peu moins nets, il aurait déclaré ce que Mitterrand résume ainsi devant nous : « Il ne faut pas que VGE soit réélu. Nous n'avons que cette convergence avec le Parti socialiste. » Il rit de bon cœur : « Ah, dit-il, celle-là, de convergence, me suffit ! »
Quant aux relations avec le Parti communiste, sur lesquelles il s'est peu attardé au cours du congrès, elles sont vraiment paradoxales. On en arrive à une situation extraordinaire : plus les dirigeants communistes attaquent Mitterrand, plus ils le dédouanent ; plus Mitterrand exprime sa différence, mieux il existe. Le pire, pour lui, serait que les communistes lui sautent au cou pour lui donner ce que Gilles Martinet appelle le « baiser de la mort » !
27 janvier
Déjeuner avec Jacques Chaban-Delmas. Une fois de plus il me fait une démonstration que je n'attendais pas. La voici : de très nombreux éditorialistes jugent qu'ensemble, Jacques Chirac et Michel Debré réunissent plus de voix aujourd'hui dans les sondages que ne le ferait un candidat gaulliste solitaire. « C'est faux, dit-il. Vous verrez : lorsqu'il sera évident que Chirac et Debré se présentent l'un contre l'autre, les électeurs considéreront qu'ils n'ont l'un et l'autre aucune chance de gagner. Ils ne voteront donc pas pour eux. Les deux candidats ne feront pas davantage de suffrages ; ils en obtiendront moins. » Fort de cette certitude, Chaban s'apprête à demander ce soir, 27 janvier, à Jacques Chirac de renoncer à se présenter. Ce que Chirac répondra, je
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