Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
ne le saurai peut-être pas, à moins qu'il ne me le dise lui-même. Merde, sans doute...
Chaban poursuit la conversation en revenant longuement sur Giscard d'Estaing en 1974. Lorsque celui-ci est entré à l'Élysée, il craignait le pire. C'est-à-dire qu'en matière de défense et d'atlantisme, Giscard soit en dessous de tout. Il veut dire qu'il a redouté l'alignement de Giscard sur les États-Unis et l'abandon de la doctrine gaulliste de la dissuasion. Il raconte assez drôlement un épisode aujourd'hui oublié de la vie politique, qui date du début du septennat de Giscard : celui du départ de Jean-Jacques Servan-Schreiber, ministre des Réformes dans le gouvernement Chirac, parce qu'il avait condamné justement la dissuasion, croyant par là faire plaisir à Giscard, anticiper même un de ses désirs.
« Lorsque Chirac a immédiatement rappliqué chez Giscard en hurlant, Giscard lui a dit : “Ne vous inquiétez pas, je le morigènerai au prochain Conseil des ministres. – Vous le morigénerez sans moi, lui a alors répondu Chirac, je ne serai plus là s'il est encore ministre au prochain Conseil !” C'est parce que Chirac a fait le forcing que Giscard a pris la décision de se séparer de J.-J. S.-S. Pas de gaîté de cœur ! »
Chaban, donc, nourrissait les plus grands doutes sur le « gaullisme » de Giscard en début de septennat. Il reconnaît aujourd'hui que ses doutes n'étaient pas fondés. Plus exactement : moins qu'il ne le croyait.
Ce soir, intervention télévisée de VGE sur la politique extérieure. Pourquoi ? Parce qu'il continue à vouloir s'expliquer sur la rencontre de Varsovie dont il sent – et dont sans doute les sondeurs lui disent – qu'elle passe mal dans l'opinion. Lorsqu'il a rencontré le leader soviétique, c'était pour « continuer le dialogue », même après l'entrée des chars russes en Afghanistan, et affirmer sa foi en la détente. C'est précisément ce qui lui est reproché : le dialogue a été jugé inopportun et même dangereux.
Il y a beaucoup de mauvaise foi, je trouve, dans le procès qui lui est fait. Les attaques, finalement, viennent de la droite la plus à droite, et puis de la gauche socialiste qui profite de la circonstance. Les gaullistes devraient approuver l'attitude « non alignée » de Giscard. Ils se gardent bien de le faire pour ne pas risquer, serait-ce un seul moment, de donner le moindre encouragement au concurrent de Jacques Chirac. Mais ceux qui sont le plus hostiles à la rencontre de Varsovie, c'est chez les giscardiens qu'on les trouve. Quant aux socialistes, leur réaction est de pure stratégie électorale.
2 février
Une immense photo de Mitterrand, ce matin, sur deux pleines pages des hebdomadaires. En surimpression, sur la page de gauche, Françoise Sagan, d'une phrase, explique pourquoi elle s'est rangée, après Pompidou, dans le camp de Mitterrand. Dans un autre hebdo, Haroun Tazieff explique pourquoi la vulcanologie l'a amené à Mitterrand !... Jacques Séguela est passé par là. C'est l'entrée de la publicité dans la politique. Je me rappelle qu'en 1974, c'était Claude Perdriel, un professionnel de la presse et non pas de la pub, qui avait supervisé, avec des heurs et des malheurs, la campagne de Mitterrand.
Dans la guerre des boîtes de publicité, une filiale de Havas roule pour Chirac. Giscard et les communistes ont depuis longtemps leur staff de sondeurs, de sociologues et de conseillers. Il paraît qu'au PC, le choix du bon profil de Georges Marchais est l'objet de soins constants.
Même date
Les ministres communistes au gouvernement après une éventuelle victoire de Mitterrand ? Le thème va être évidemment le cheval de bataille de la droite pendant toute la campagne. Il y a là un réel danger pour Mitterrand. Si le PC lui demande d'un côté de prendre des ministres communistes, et, de l'autre, fait tout pour lui savonner la planche, il risque de perdre sur tous les tableaux.
Du coup, Jospin a été mandaté aujourd'hui pour préciser que si les communistes voulaient être au gouvernement, ils devaient commencer d'abord par changer de langage. Pour calmer le jeu avant la présidentielle, sans doute, il a dit aussi que Mitterrand gouvernera avec la majorité qui sera élue aux prochaines législatives s'il est vainqueur dans la course élyséenne. Cela suffira-t-il pour calmer le double assaut de Giscard d'un côté, des communistes de l'autre ? J'en doute.
3 février
Au tour
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