Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
pourraient parfois se révéler interchangeables : autorité, abandon, affaiblissement, effort... Tout cela rend dérisoire la double candidature au sein du mouvement gaulliste. Je ne comprends pas comment ils se sont débrouillés pour en arriver là.
Après une nuit d'hôtel à Marseille où, après Toulon, les journalistes parisiens ont rejoint le peloton, nous voici, le 25 à 9 heures du matin, à Châteaurenard. Il y a peu de monde, évidemment, dans la salle.
Chirac, mal réveillé, lunettes sur le front, chemise bleue, costume beige, cravate marron, chaussures avachies, a confié à la petite troupe qui l'accompagne qu'il lui faut une heure pour se réveiller. Ce matin, il est donc apparu dans le hall de l'hôtel vers 8 heures au lieu de 7 h 30, mais peu importe, il sera en retard, il en prend toujours son parti, au moins le matin. C'est le contraire de François Mitterrand, qui, lui, n'est en retard que le soir.
Il m'a dit, hier, avoir commandé quatre œufs au petit déjeuner, puisqu'il n'a jamais ou presque le temps de dîner, ni même souvent de déjeuner. Ce matin, il me répète qu'il mourait de faim, hier dans la nuit : tout était fermé à l'hôtel lorsqu'il a voulu appeler le room service. Il a donc perdu quelques kilos depuis qu'il a commencé sa campagne. Il en avait perdu dix, dit-il, au moment de son accident, mais il les a repris presque aussitôt. Les hommes politiques aussi ont des problèmes de ligne !
À Châteaurenard, nous arrivons en retard pour le marché. Il parle d'élargissement de l'Europe. Son programme n'a pas changé, dit-il, de ce point de vue : avec la Grèce il est possible de passer un accord. C'est un problème qui peut être maîtrisé sans graves perturbations à condition de mener une négociation « ferme » et « serrée ». L'entrée dans l'Europe de l'Espagne et du Portugal fait en revanche davantage question : « Je m'y suis opposé avec détermination. Après avoir exercé toutes les pressions possibles, j'ai enregistré que, tout d'un coup, le Président a décidé qu'il fallait reporter à des temps meilleurs l'entrée de l'Espagne et du Portugal dans le Marché commun. Je reste hostile à cette idée, car je ne vois aucun moyen technique pour protéger les régions du Sud-Ouest et du Sud-Est contre l'entrée des produits espagnols et portugais sur nos marchés. »
Ah ça ! Il ne fait pas dans la dentelle. Après un petit passage par la fiscalité – naturellement, il juge que la charge fiscale a beaucoup trop augmenté dans la France giscardienne –, un couplet sur les agriculteurs du Grand Sud-Ouest-Sud-Est dont l'intérêt, dit-il, n'est pas de limiter la production agricole, mais au contraire de la développer. « Ce que demandent les agriculteurs, ajoute-t-il, évidemment très applaudi, ça n'est pas la charité, mais la justice ! »
Un mot sur la sécurité pour terminer, et le voici à Aix-en-Provence une heure plus tard. Il parle dans une église désaffectée. Curieux de le voir à la place du prêtre, à l'autel, sous les chapiteaux gothiques. C'est l'heure du discours sur l'autorité et sur les rapatriés.
Puis vient enfin le moment de détente. Il va rendre visite, aux Baux-de-Provence, au vieux restaurateur Raymond Thuillier, 85 ans, un de ses plus fidèles supporters, je ne sais pas pourquoi, depuis près de vingt ans. Ému et honoré, Thuillier ne ménage pas ses encouragements : « Vous avez gagné la première manche, Jacques, vous possédez l'amitié du cœur et le sens de l'humain, cette chaleur que nous aimons chez l'homme. »
Et hop ! Remontée dans l'hélicoptère. Direction : Gap. Une salle bondée l'attend à 16 h 30. Dans l'hélico, il ne peut s'empêcher de me parler de Giscard, sur lequel son discours public est jusqu'à présent resté muselé. On sent bien qu'il souhaiterait s'exprimer davantage. Avec moi, il se défoule :
« Songez qu'à Londres, l'autre jour, Valéry Giscard d'Estaing et Margaret Thatcher déjeunaient ensemble pendant qu'un chalutier français a été arraisonné par la marine anglaise ! Pendant qu'ils déjeunaient ! Et Giscard n'a pas bronché ! Il n'a pas dit un mot !
« En 1974, François Mitterrand avait proposé le recrutement de 300 000 fonctionnaires. Giscard, pendant sa campagne, a dit que c'était tout à fait irresponsable. Eh bien, figurez-vous qu'il en a engagé le double : 650 000 ! Assurément, ce n'est pas pour cela que les Français l'ont
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