Cahiers secrets de la Ve République: 1977-1986
l'abaissement de l'âge de la retraite, la limitation de la durée de travail à 35 heures sans diminution de salaire, et une forte augmentation des bas salaires !
Un mois et demi plus tard, il ne change pas. Il présentait hier à la presse les mesures proposées par le gouvernement en faveur de l'emploi. Il était temps ; les candidats, officiels ou officieux, ont ceci en commun qu'ils ont fait du chômage l'axe de leur campagne contre Giscard. Le Président a dû demander à son Premier ministre de mettre les choses au point et de montrer que le gouvernement n'était pas sans idées sur la question.
Une occasion d'ironiser sur la pauvreté d'esprit de son auditoire, c'est-à-dire nous : « Je ne vous dirai pas que le gouvernement se propose en six mois de réduire le chômage par l'effet d'une action que j'appellerai charismatique ! » Et il proteste avec la dernière vigueur quand on lui demande pourquoi il se tait : « Parce que, répond-il à l'instar de M. Prudhomme, il ne faut jamais beaucoup parler ! »
S'abstiendra-t-il de prises de position publiques pendant toute la durée de la campagne ? « Vous le verrez bien ! »
Quand, alors, parlera-t-il ? « Le moment venu ! »
Bref, il était exaspéré. Et nous aussi. Tout de même, je me dis que si sa politique était mieux comprise, Giscard serait plus assuré de la victoire en avril prochain. À ce stade, j'ai tendance à penser que Barre fait du sabotage !
26 février au soir
Paule Dayan a invité François Mitterrand à dîner. Il y a là énormément de ses amis : Claude Estier, Charles Hernu, Roland Dumas, André Rousselet, Louis Mermaz et d'autres plus anciens, que je ne connais pas.
Ce soir, Mitterrand est visiblement fatigué. Cela semble contredire mes réflexions sur la résistance des candidats. Il m'explique qu'il a attrapé froid, qu'il se sent mal fichu. Je finis par comprendre qu'il vit en ce moment sa période la plus difficile : il a fait acte de candidature mais attend, pour descendre dans l'arène, que Giscard y entre. Il piaffe et tourne en rond. Lui qui se vit uniquement en combattant, s'oblige à attendre pour combattre.
Après le dîner, où il a avalé plus d'une douzaine d'huîtres, il est en meilleure forme. Il commence à parler, comme il le fait d'habitude, en faisant mine de poser des questions dont il a préparé les réponses :
« Et vous, Mademoiselle, que pensez-vous de tout cela ?
– Bof, dis-je, je n'en pense pas grand-chose ! »
Il insiste : « Dois-je continuer à me taire ?
– Oui », dit Mermaz.
Les autres lieutenants, prudents, ayant peur de se faire contredire par leur chef, restent cois.
François Mitterrand se tourne vers moi comme si, en réalité, la réponse de Mermaz ne le satisfaisait pas.
Il a raison : je ne suis pas d'accord avec Mermaz. Vais-je le lui dire ? Après tout, ce n'est pas très utile. Mitterrand a sûrement déjà pris la décision d'arrêter ou de poursuivre cette période de précampagne. Il n'a nul besoin d'un autre avis que le sien.
Tant pis : il sera contraint de prendre position, je pense et je le dis, avant l'intervention de Giscard à la télévision, émission prévue pour le 10 mars. Il me donne raison sans préciser la date qu'il a retenue pour plonger dans la bataille.
Son argumentation : le désordre, aujourd'hui, c'est Giscard qui l'incarne. Il n'obtiendra que le quart de l'électorat au premier tour : l'intérêt de la candidature de Jacques Chirac est à ses yeux de le faire descendre en dessous des 30 %. Dans ce cas, il pourrait évidemment tenter de se passer de Chirac et de gouverner avec les socialistes. Mais « il n'aura pas leur soutien, j'y veillerai, croyez-moi ! » gronde Mitterrand, babines retroussées.
Ou alors il sera élu au deuxième tour avec le concours des voix chiraquiennes. Dans ce cas, il lui faudra avoir négocié avant le deuxième tour avec Chirac des élections législatives anticipées, et le statu quo du RPR. « Et avec qui gouvernera-t-il, dans ce cas ? Avec les mêmes ? Pour sept ans ? Je lui souhaite bien du plaisir !
« S'il est élu avec les voix communistes, si les communistes finissent par voter pour lui, et donc contre moi, il faudra tout de même que leur soutien ne soit pas flagrant. Et puis, ce sera tout de même plus compliqué que cela : rien n'est signé, écrit, définitif avec eux !
« Dans ce cas, je dirai : moi, je désirais faire entrer les communistes au
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